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Roman

Les deux Beune, Pierre Michon (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 31 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Verdier

Les deux Beune, Pierre Michon, éd. Verdier, Coll. Jaune, mars 2023, 160 pages, 18,50 € Edition: Verdier

 

Le livre qui paraît aujourd’hui comporte deux parties : celle éditée en 1996, La Grande Beune, celle qui complète La Petite Beune. Ruisseaux de la région des Eyzies, paradis des grottes préhistoriques.

On retrouve dans les deux, les mêmes personnages : trois femmes, Yvonne, Mado, Hélène ; trois hommes, Jeanjean, Jean le Pêcheur, le narrateur, Pierre. L’histoire, celle du désir, se niche dans une zone, où s’entrelacent les ruisseaux et les histoires d’hommes, éblouis par les femmes. Yvonne, belle buraliste, attise le regard du narrateur jusqu’à vouloir la posséder, mais Yvonne a son Jeanjean, qui l’accueille dans sa maison perdue dans les bois. Les deux parties du livre conjoignent activement le désir de Pierre, nouvel instituteur du village de Castelnau.

La découverte du village, de ses eaux, de ses grottes, de son café du commerce où se retrouvent les mâles du canton, les figures de femmes, la vieille Hélène, la sculpturale Yvonne, la jeune étudiante Mado, tout se tresse dans une attente qui active le désir, diffère l’accouplement, nourrit le plaisir du lecteur.

Pays perdu, Pierre Jourde (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 30 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pocket

Pays perdu, Pierre Jourde, Pocket, 2005, 192 pages Edition: Pocket

 

Le frère du narrateur vient d’hériter. Leur cousin Joseph, « qui vivait en sauvage, dans sa ferme, tout au bout d’une route égarée dans les montagnes » (p.19), est décédé. L’héritage consiste en des terres, une ferme et, les deux frères l’espèrent presque comme des enfants, le vieux trésor caché, le pactole. Pourtant, ce qui les conduit vers ce village extrêmement retiré, difficile d’accès, à l’image d’une excroissance ayant poussé lointainement en regard d’un paysage sans hommes, ce qui les y conduit sera vite rangé de côté au profit de réflexions et d’observations déterminantes.

Il ne se passe que peu de choses dans ce récit fixé sur des instants-clé : l’une des habitantes du village, la très jeune Lucie, meurt d’une leucémie. S’engage alors le défilé des voisins dans la maison de François et Marie-Claude, ses parents, venus pour adresser un dernier au revoir à la défunte. C’est dans ces circonstances austères que le narrateur s’attarde (ou se souvient, dans ce qui forme des images revivifiant les sensations de son enfance) sur la rudesse de ces personnages, le silence qui enferme l’âme, l’alcool qui assoit une soumission à la solitude, quand celle-ci n’est pas désirée, les mains gigantesques et impénétrables qui ont sans cesse manipulé le bois ou dépecé des bêtes…

Hildegarde, Léo Henry (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 30 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Hildegarde, Léo Henry, Folio, avril 2023, 608 pages, 10,90 € Edition: Folio (Gallimard)

Hildegarde est l’œuvre d’un polygraphe renommé, tant nouvelliste « classique » qu’auteur de science-fiction, tant scénariste de bandes dessinées qu’auteur de jeux de rôle ; Hildegarde est un roman au contenu magistral, issu d’une documentation aussi pointue et fouillée que pertinente au sujet traité : la biographie d’Hildegarde von Bingen, la religieuse bénédictine aussi bien versée dans le mysticisme (un rien de magie parcourt le roman, avec l’une ou l’autre vision forcenée) que dans la botanique ou dans la composition ou l’illustration. Henry parvient au tour de force de représenter une époque, surtout d’un point de vue intellectuel au sens large du mot, de la philosophie à la théologie avec passage par une politique teintée des deux premières, allant de la première Croisade à l’œuvre de Chrétien de Troyes (naissance et mort d’Hildegarde obligent) – les deux étant représentatives d’un esprit propre au XIIe siècle. C’est que Henry a eu l’intelligence de tout entremêler sans que le mélange devienne confus : les chapitres portent sur des légendes, des histoires, des vies, et sont comme autant de poupées russes, chacun comportant en son sein de mini-chapitres, qui eux-mêmes, etc. Et Hildegarde ? Elle est silencieuse, si l’on peut dire, et le chapitre qui lui est consacré est composé de regards sur elle : il l’illumine sans entrer dans sa conscience propre, ce dont s’abstient Henry avec intelligence, tout en offrant une belle… vision de la bénédictine.

Les Naufragés du Wager, David Grann (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Editions du Sous-Sol

Les Naufragés du Wager, David Grann, éditions Du Sous-Sol, août 2023, trad. anglais (USA), Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): David Grann Edition: Editions du Sous-Sol

 

David Grann puise, ouvrage après ouvrage, la matière de son travail dans la réalité. Il met les mains jusqu’aux coudes dans la pâte du réel et en fait des fictions plus fictionnelles que les fictions. L’incroyable matériau qu’il réunit avant d’écrire dépasse toute entreprise d’investigation : plus de 150 ouvrages, textes d’époque, journaux de bord, journaux intimes, rapports maritimes ont été ici utilisés pour construire, mieux pour re-construire, cette folle équipée du Wager et de son escadre de voiliers, cette terrifiante histoire qui rejoint les plus inoubliables récits de marins. Les éléments qui élaborent cette narration sont en effet essentiellement des récits de marins, des témoignages écrits par les acteurs du drame avec une précision, une rigueur en lesquelles Grann fait parfaite confiance car « ces hommes croyaient que leurs vies mêmes dépendaient de ces récits. S’ils échouaient à proposer une version convaincante des faits, ils risquaient de finir pendus ou ligotés à la vergue d’un navire ».

Julie de Carneilhan, Colette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 24 Août 2023. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Julie de Carneilhan, Colette, Folio 192 p. . Ecrivain(s): Colette Edition: Folio (Gallimard)

 

Il n’y a pas, chez Colette, de guerre des sexes mais des affrontements de personnalités. Colette, une féministe ou pas ? La question n’a guère de sens. Le génie n’est le porte-parole que de l’humanité. Car hors le carcan des conventions et des lois, qui assignent à chaque sexe un statut, un rôle et même un caractère supposé naturel, qu’est-ce qu’être un homme ou une femme ?

« Julie se savonnait comme un homme, tête comprise, dans son bain », raconte la romancière de son héroïne éponyme. Et celle-ci a beau déclarer « Je ne raisonne pas sur la guerre. Ce n’est pas l’affaire d’une femme, de raisonner sur la guerre », c’est plus par dégoût pour ce possible cataclysme que par croyance en une quelconque incapacité naturelle féminine. Les seuls frappés d’incapacité, chez Colette, sont ceux qui ont renoncé au bonheur. Julie n’en est pas.

Parisienne de noble ascendance bretonne, fière et pauvre comme il se doit à cette noblesse, elle n’hésite pas à corriger gentiment un domestique colportant qu’elle a quarante-quatre ans : elle en avoue crânement quarante-cinq ans. Elle a le talent pour faire changer de côté la gêne que la bienséance serait censée lui faire éprouver. C’est sa force et sa fierté de femme déclassée.