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Poésie

Un peu de fièvre, Sandro Penna (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 15 Mai 2024. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Italie

Un peu de fièvre, Sandro Penna, Ypsilon éditeur, 2022, trad. italien, Jean-Paul Manganaro, 146 pages, 20 €

 

La dissidence sexuelle, dans une société hétéronormée, peut conduire à l’inhibition destructrice, à la forfanterie, à la dissimulation sournoise comme pour Mauriac, à l’expérience quasi mystique de la honte et de « l’abjection » comme pour Jouhandeau, à l’élection, comme pour Genet, d’une contre-société opposant aux valeurs majoritaires celles qui leur seront le plus contraires pour empêcher la réconciliation. Elle peut aussi, comme chez Georges Eekhoud avec Escal-Vigor et Voyous de velours, aiguiser le regard, inverser les perspectives et dénoncer les leurres et les mensonges des discours autorisés. Elle peut enfin, comme chez Jef Last, compagnon de voyage de Gide en URSS en 1936, ou Daniel Guérin, motiver un engagement politique.

Tout autre est la manière dont Sandro Penna a construit, à partir de son goût des garçons, sa poétique. On l’observe dans les courtes proses du recueil Un peu de fièvre, retraduites par Jean-Paul Manganaro et publiées en juin 2022 par les élégantes éditions Ypsilon (une précédente version, dans une traduction de René de Ceccatty, avait été proposée dans « Les Cahiers Rouges » de Grasset en 1996).

Mots décroisés, Patrick Devaux (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 15 Mai 2024. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions du Cygne

Mots décroisés, Patrick Devaux, Editions du Cygne, octobre 2023, 45 pages, 10 € Edition: Editions du Cygne

 

Préfacé par la poétesse Parme Ceriset, ce nouveau recueil de Patrick Devaux, faisant référence inversée aux grilles des cruciverbistes, est un montage délicat de « poèmes verticaux » dont quasiment tous les « vers » sont constitués systématiquement d’un mot unique ou, plus rarement, de deux.

Personnages : une femme, simplement désignée par un pronom, « elle », en train de croiser et décroiser les mots « comme on croise et décroise les jambes », et le poète narrateur qui la tient dans l’empan de son regard attentif, qui imagine, traduit et exprime ce qu’elle fait, ce qu’elle pense, ce qui l’occupe et la préoccupe, le poète voyeur à qui, incidemment, elle demande de « l’aider à trouver », ce qui pose ces questions immédiates :

que cherche-t-elle ?

quel sens veut-elle donner à quoi ?

Lucarnes, Jacques Goorma (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 14 Mai 2024. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Lucarnes, Jacques Goorma, éditions Arfuyen, février 2024, 128 pages, 14 €

 

Tremblement

Le mot du titre, tremblement, fait appel à deux notions. La première, c’est celle d’Édouard Glissant, qui s’intéresse au tremblement du monde, bruit qui vient à la porte de chacun par les flux des informations en temps réel. On finit par trembler à l’instar de tout le monde au même moment et pour les mêmes raisons. Pour finir, personne n’échappe à la réalité de l’univers. Mais trembler est aussi une manière d’approcher la langue poétique, espèce de synecdoque où un simple mot revient à toucher du doigt une réalité plus ample. Ici, le tremblement, ce scintillement, cette résonance de la matière, soyeuse en un sens comme une étoffe, se nourrissent d’eux-mêmes afin de consigner ce que cherche pour finir tout écrivain : le secret de la vie. Donc, le culte du silence n’est pas sans effet sur cette appréhension par la langue d’une réalité des mots, dans une nudité telle qu’elle conduit aux bornes de l’aphonie.

Des destins, William Cliff (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 03 Mai 2024. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde

Des destins, William Cliff, La Table Ronde, 2023, 352 pages, 22 € . Ecrivain(s): William Cliff Edition: La Table Ronde

 

Avec la musicalité propre au sonnet, qu’il maîtrise, le poète gembloutois relate en trois cents poèmes quelques reliefs de sa vie. Passent ainsi au crible de son talent les proches, les marraine et parrain, les amis et amants de passage (un bel hommage à Joseph Orban, poète de son état), les souvenirs d’adolescent, ceux du poète en « mansarde » à Bruxelles, les expériences voyageuses, sensuelles.

Il en a connu des destins. Des paysages intérieurs à ceux d’ailleurs (le poète est épris de voyages), voilà comment une vie s’ordonne en sonnets, clairs, efficaces, sensuels, crus et nus comme peut l’être l’âme d’un vrai poète, qui, jamais, n’a renoncé à exposer sa vie, son amour des hommes, ses amours de langues et de poésies, en rameutant le concret comme le sublime, le vrai, l’ordinaire des vies, le banal, l’extraordinaire. Nulle plainte ne vient encombrer la prosodie ; nulle alarme, certes. La voix déroule la vie, sans apprêts, sans moralisme, dans la fluidité narrative des faits vécus, observés, recueillis en sonnets.

La poésie est sur la table, Denise Le Dantec (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau , le Mardi, 30 Avril 2024. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Unicité

La poésie est sur la table, Denise Le Dantec, éditions Unicité, 2023, 170 pages, 15 € . Ecrivain(s): Denise Le Dantec Edition: Unicité

Depuis plus de cinquante ans la poète Denise Le Dantec a composé une œuvre novatrice, inclassable, publiée chez : Flammarion, Stock, La Part commune, L’Herbe qui tremble, Le Silence qui roule, Tarabuste, les éditions des Instants, Unicité, entre autres. Celle qui fut liée à des poètes, tels Michel Leiris, Salah Stétié, Guillevic, Claude Roy, livre ici un très beau recueil aux éditions Unicité dans la Collection Brumes & Lanternes, dirigée par l’écrivain Éric Poindron.

Tous à la table de la poésie ! Le titre du recueil, les trois épigraphes, l’une de Suzanne Doppelt, « Le monde est une table », celle de Jack Spicer, poète américain de la Beat generation, celle aussi d’un extrait des Vedas, placent au cœur du recueil l’évocation de la nourriture, réelle ou symbolique. La jouissance des mets et des breuvages rejoint ici la symbolique poétique en une sorte de métaphore filée. Les cent cinquante-neuf poèmes du recueil, d’une extrême variété de formes, allant d’illuminations, de souvenirs d’enfance à des poèmes de réflexion poétologique se trouvent unis par la thématique de la nourriture. Défilent de drôles de mets, confiture achetée dans « une laverie automatique », salade fattouche, asperges peintes par Édouard Manet, vareniki d’Ukraine et boissons de même acabit, des quatre coins du monde :