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Poésie

Mort et vie sévérine, João Cabral de Melo Neto (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 13 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Chroniques, La Une CED, Amérique Latine, Langue portugaise

João CABRAL de MELO NETO - Mort et vie sévérine - Édition bilingue. Traduction et présentation de Mathieu Dosse - Chandeigne, 2023, 136 p.,18€

 

Un poème (en fait, une "scène de Noël" écrite en 1955, un jeu théâtral versifié répondant à une commande, et refusé comme injouable - qui n'a eu que dix ans plus tard un étonnant succès, dans une version politico-musicale que Chico Buarque impose à la fois à la dictature d'alors, à Cabral lui-même, d'abord réticent, et au public européen, subjugué) formidable, virtuose et simple, dont on se surprend, un oeil sur les pages de gauche, à scander l'irrésistible et opaque portugais. L'histoire monologuée d'un migrant ("um retirante") du Nordeste, Sévérino, qui gagne, à pied, Recife, pour, fuyant sécheresse et misère, y trouver à vivre ; en une quinzaine d'étapes alertes, familières, denses - le long du fleuve Capibaribe, qui mène du haut-Pernambouc à la métropole côtière - pendant lesquelles le désespoir grandit, les objections au suicide s'essoufflent, la tentation de "prendre une autre sortie; celle qui fait sauter, de nuit, du pont et de la vie" s'installe, jusqu'à ce qu'une naissance - comme on va voir - change l'issue, et redirige ailleurs l'échec.

Capitale de la douleur et L’Amour la poésie, Paul Eluard (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 12 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Capitale de la douleur, Paul Éluard, Folio/Lycée, août 2023, 256 pages, 4,50 € L’Amour la poésie, Paul Eluard, Folio/Poche, février 2023, 128 pages, 3 €

 

Publié en 1926, Capitale de la douleur est probablement le recueil poétique le plus célèbre de Paul Éluard, ce qui lui vaut en 2023 une réédition dans une collection à visée pédagogique. Voici donc ce livre dont André Breton disait qu’il était destiné « à ceux qui depuis longtemps n’éprouvent plus le besoin de lire » revenu au cœur de l’actualité éditoriale, avec cette question lancinante et sous-jacente : qu’ont encore à dire aujourd’hui ces poèmes du déchirement amoureux ? Rien, et tout, puisque les sentiments exprimés avec puissance (« À terre, à terre tout ce qui nage !/ À terre, à terre tout ce qui vole !/ J’ai besoin de poissons pour porter ma couronne/ Autour de mon front,/ J’ai besoin des oiseaux pour parler à la foule », L’hiver sur la prairie) et force images qui sont autant de provocations à l’esprit, d’incitations à régénérer toute vision, tout ressenti, toute expérience (« Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge,/ Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue,/ Mais ce qui brille tous les jours/ C’est l’accord de l’homme et de l’or,/ C’est un regard lié à la terre »,

Shorts, Wystan Hugh Auden (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 08 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Rivages poche, Cette semaine

Shorts, Wystan Hugh Auden, Rivages Poche, 2003, trad. anglais, Frank Lemonde, suivi d’un essai de Hannah Arendt, 142 pages, 7 € Edition: Rivages poche

 

L’occasion du cinquantenaire de la mort d’Auden fait rouvrir ici un de ses recueils les plus denses et délicieux (mais malheureusement difficile à dénicher), Shorts, en nous sortant du seul poème Funeral blues, rendu célèbre (« Stop all the clocks, cut off the telephone… ») par sa lecture (bouleversante) dans le film Quatre mariages et un enterrement.

Auden (1907-1973) est toujours, avec bonheur, en poésie juge et partie : comme juge, il délimite la stricte fonction du poète (« exprimer avec exactitude ce qu’il eut l’honneur de contempler », et en laisser aux autres l’appréciation, p.85) ; comme partie prenante, il s’y tient, rigoureusement, lui-même. Si la contemplation arrive trop tard, si l’exactitude se pointe trop tôt, elles repasseront, voilà tout. Auden entend rester maître de l’agenda de ses chefs-d’œuvre, et contrôler (de sa toujours ironique sévérité) l’emploi du temps de sa Muse :

Scènes d’une vie de bohème, Une jeunesse à Colmar et Strasbourg (1880-1914), Otto Flake (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 06 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Arfuyen

Scènes d’une vie de bohème, Une jeunesse à Colmar et Strasbourg (1880-1914), Otto Flake, Arfuyen, 2023, trad. allemand, Marine El Hajji, Régis Quatresous, 310 pages, 20 € Edition: Arfuyen

En moins d’un siècle, de 1860 à 1945, les Alsaciens ont changé quatre fois de nationalité, de langue, de système politique et administratif, passant de la France à l’Allemagne et retour. L’invasion de 1870 a, dans l’ensemble, disparu de la mémoire collective, malgré les atrocités qui furent commises (pas seulement dans l’Est du pays : on relira certaines nouvelles de Maupassant, comme La Folle). Sommés de choisir entre l’Allemagne et la France, la moitié des Alsaciens prit le chemin de l’exil, abandonnant leurs domiciles, leurs entreprises, leurs fonctions, s’établissant dans la partie de l’Alsace demeurée française (le Territoire de Belfort), les régions voisines ou à Paris (ce fut pour eux qu’on créa l’École alsacienne). De 1870 à 1918, l’Allemagne nouvellement érigée en État fit le nécessaire pour qu’on oubliât les conditions dans lesquelles furent annexées l’Alsace et la Moselle (et ce fut d’autant plus aisé que les plus déterminés des anti-Allemands étaient partis). La gare de Metz est célèbre pour sa lourdeur typiquement teutonne, le « quartier allemand » de Strasbourg se visite aujourd’hui à part entière et le IIe Reich dota richement la Bibliothèque universitaire de Strasbourg, détruite lors du siège de la ville, le 24 août 1870, par un obus allemand selon toute vraisemblance tiré volontairement.

Matière des soirs, Philippe Leuckx (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 04 Décembre 2023. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Le Coudrier

Matière des soirs, Philippe Leuckx, Éditions Le Coudrier, mars 2023, 70 pages, 18 € . Ecrivain(s): Philippe Leuckx Edition: Le Coudrier

De quoi est faite la « matière des soirs » ? À l’heure où le jour cède progressivement, mais si rapidement, la place à la nuit, à l’heure où les clartés finissantes, aussi belles que celles aperçues sur les photographies splendides de Philippe Colmant, persistent malgré elles dans ce puits qu’est l’horizon, le poète nous invite au partage de la mélancolie et de la solitude, dont ce moment singulier du crépuscule augmente l’intensité.

Qui suit-on ou que suit-on ? L’errement ou l’égarement du promeneur solitaire dans un milieu urbain, dans des perspectives de rues qui ont l’air tronquées : « les rues ne sont presque plus / des rubans de concorde » (p.19) ; « on a les mains trop grandes / pour ce si peu à cueillir / dans l’ombre » (p.20). Les pensées se dévident au rythme des circonvolutions du poète, qui ne semble entrevoir aucune quête en dernier lieu, si ce n’est celle, sans doute, de récolter un fond d’apaisement : « au loin une grive s’enivre / tout près l’enfant rêve / de vent léger » (p.17). Car il s’agit bien ici de pallier le manque : « Paysage grêlé de tombes et de visages / absents » (p.9) ; « Dans la maison / je cherche la présence / comme l’on monte les marches / pour trouver son rythme » (p.23).