L’Origine des lèvres, Jacques Cauda (par Murielle Compère-Demarcy)
L’Origine des lèvres, Jacques Cauda, éditions Tarmac, mars 2024, 52 pages, 11,50 €
D’aucuns émettent l’idée qu’écrire proviendrait peut-être de la nécessité (compulsive) d’un règlement de compte déclenchant un processus de revanche sur la vie à s’offrir/souffrir – à se payer cash sans entrave – jusqu’à l’extase érotique du souffle, avec la dévoration/dévotion d’un ogre de malices et de sainteté dont, Vivant parmi les vivants, nous prenons toutes et tous plus ou moins le masque, à nous en arracher la face, dans l’excès même d’excéder selon G. Bataille. Bataille : nous y revoilà ! « Bataille pour livrer “bataille” », écrit Cauda… Bataille et Cauda semblent se rejoindre là dans l’entreprise scripturale/scripturaire sacrale, à faire de l’expérience biographique à la fois sacrée et « tache aveugle », une donnée anthropologique mettant la question du reste (reliquat), produit de l’excès humain, au centre de ce qu’est l’homme. Ecce homo c/o Cauda remet à l’art du « peindrécrire » le pouvoir, par la fiction ou la (Sur)figuration, de faire de « la représentation » de ce qu’est la part maudite chez l’homme, cette part de l’intraitable, cette présentation absente qui fait reste et dont l’œuvre par son inachèvement essentiel tente de restituer, dans la couture à vif des mots, l’impossibilité même de son excès.
« Liberté » ici personnifiée comme « Aliénation » – « Liberté » ici dressée poitrine ouverte sur les barricades du monde, sonne/résonne dans ce livret de Cauda intitulé L’Origine des lèvres, avec la « souveraineté » nietzschéenne. Par l’érotisme (Éros) et le jazz. L’Origine des lèvres… cette origine du JAZZ !
Plein d’alcool, de musique et d’ivresse des profondeurs à la façon d’Un qui « plonge loin », là, à un concert de cordes au New Morning, ici reniflant (humant à nouveau des perceptions synesthésiques a-temporelles) les « fleurs lumières écho des lumières » de l’entrée de Paradis de Philippe Sollers… Cauda nous abouche à L’Origine des lèvres en flirtant avec « l’animal pervers si vicieux » qu’est le jouissif Vivant, jubilant orgasmant éjaculant, miel entre les cuisses, semence abyssale ; en nous réinvitant à revivre son parcours, depuis sa bataille – couteau de boucher bataillien (Madame Edwarda !) en main – contre le « Roman familial », contre la Musique, à
« la rue saint jacques saint-jacques cauda et philippe sollers le boulevard du port-royal »…/
« nous sommes voisins vis-à-vis tous deux perchés au sixième étage face-à-face comme dans le lys d’or »…/
(…)
« j’emménage rue saint-jacques au sixième étage grande terrasse que je couvrirai de fleurs lumières écho des lumières j’ouvre la double fenêtre qui donne sur la rue fustel de coulanges l’air est bleu de la couleur du ciel du jardin du luxembourg tout proche j’allume une cigarette comme mon voisin d’en face qui fume à sa fenêtre je le reconnais c’est son fume-cigarette sollers que je lis depuis que j’ai 17 ans au lycée gabriel fauré du treizième arrondissement paris après avoir écrit une dissertation finneganswakienne sans le savoir j’étais du joyce en toute innocence des pages de mots valises ouvertes sur la folie (…) ».
Et de penser à (L)ivre de papier (Éditions Tinbad, 2016) de Guillaume Basquin en étant embarqué par ces lignes d’immersion excédant flottaison et ponctuation, dans un rouleau de Moebius où l’ivresse d’écrire bouscule les effets de « perspective tournante » à la manière d’un « swing jubilant ! ».
Revenons à l’excès, qui excède le fondement, l’excès l’exception le merveilleux le miracle… qui désigne l’attrait, sinon l’horreur, « tout ce qui est plus que ce qui est »… L’Origine des lèvres dont l’impossibilité même est d’abord donnée,
« si bien (écrit Bataille évoquant dans le tome III, p.12 de son Œuvre Complète publiée chez Gallimard cet excès aveugle de la vie à la base de tout être), si bien que je ne suis jamais lié, jamais je ne m’asservis, mais réserve ma souveraineté, que seule ma mort, qui prouvera l’impossibilité où j’étais de me limiter à l’être sans excès, sépare de moi ».
« L’Origine des lèvres », c’est la mort à l’œuvre, la « Fête la mort » caudesque ! Une Fin de partie à la fête, Miss « Liberté » dévorée par les crocs, montée à cru, (en)courue « dents comme bite en l’air ! ».
Murielle Compère-Demarcy
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