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Nouvelles

Osty et autres livres, par Clément G. Second

Ecrit par Clément G. Second , le Lundi, 27 Juin 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

C’est celle que je connais le mieux, et pour moi la plus belle. Elle semble se plaire entre mes mains qu’elle ne quitte pas, me dis-je en souriant. J’ai demandé à la prendre sur la petite table basse près d’une bougie éteinte et caresse sa couverture, entrouvre la tranche pour glisser un œil au petit bonheur vers les planches d’enluminures familières, me laisse aller à quelques mots sur sa place dans une maison. Magda semble surprise ; je lui dis que j’ai moi aussi possédé une Bible Osty. Elle m’était chère. Je priais souvent sur elle, en relisais des passages pendant mes années pieuses. Un de mes trop nombreux déménagements m’en a séparé. Fauchée ou bien égarée, jamais su. Je ne m’en suis jamais racheté une, par tiédeur sans doute, peut-être aussi par attachement nostalgique à l’exemplaire d’alors. Magda a trop de finesse pour ne rien deviner de ce nouveau coup de foudre pour une Bible perdue par Bible interposée. Elle m’observe, à la fois grave et amusée. Il reste un fond de whisky dans son verre, le troisième si je compte bien. Pour moi, j’ai dit stop au deuxième, histoire de ne pas trop perdre en lucidité. Elle tient le sien dans sa main gauche, le fait un peu tourner, songeuse, penchant vers lui un visage marqué. De l’autre, elle porte à ses lèvres une nouvelle Stuyvesant rouge dont elle tire de souples bouffées. Ses mains tremblent par moments. Je me suis tu, prêt à continuer à l’écouter sur ce qu’elle voudra, le Livre, les livres, la vie, son couple avec Michaël (les belles années ou ce qu’au téléphone elle a appelé la débandade, la fin), que sais-je encore ; prêt aussi à partager son silence, n’étant pas venu pour l’interviewer mais pour la revoir.

Voulfe (1), par Joelle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot , le Samedi, 25 Juin 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Elle le trouva couché sur son paillasson, au moment de sortir pour les courses du jour.

Recroquevillé, mais serein ; le regard d’un qui sait avoir sa place où il se trouve.

Scotché à son collier, un petit mot de Virginia… Elle aurait dû s’y attendre.

Virginia avait pris ce chien sur les conseils d’amis désireux d’en finir avec une déprimée chronique, d’expression funèbre et portée à geindre en permanence.

A en juger par la précision calendaire du papillon arrimé à la bête, ça avait duré trois jours.

Je l’ai acheté lundi, mais ce mercredi je pars au Brésil. Merci de t’en occuper.

P.S. J’ai rencontré un brésilien.

Après une brève seconde d’empathie compassionnelle pour tous les brésiliens, Victoire lâcha sa lecture et regarda vraiment la bête.

Sur les pas égarés de l’Autre, Lettre à un passant, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mercredi, 15 Juin 2016. , dans Nouvelles, Editoriaux, La Une CED

 

Ô Vous !

Voilà plus d’un an que je vous vois passer sous ma fenêtre ; tous les matins, vous allez ; tous les soirs, vous revenez. Vous marchez au rythme du temps qui passe. Au milieu de la rue étroite, vous avancez d’un pas lent et nonchalant. Vos yeux se promènent partout. Ils s’arrêtent sur le moindre détail des choses de la rue. Sauf sur ma fenêtre, ma tour d’ivoire, mon refuge, ce lieu qui éclaire mon jardin intérieur et égaye mes nuits tristes et monotones.

Voilà plus d’un an que tous les matins, parée de mon beau caraco brodé de fils d’or et de pierres précieuses venus du pays de mes rêves déjantés, je chante ma peine. Pendant que vous passez, mes yeux caressent tendrement votre silhouette qui hante mon esprit avide de vous connaître, de savoir qui vous êtes.

Dites-moi, Ô Passant, pourquoi vos pas sont-ils si lourds ? Comme s’ils avaient du mal à vous porter ?

Voilà plus d’un an que l’envie de vous prendre par la main ébranle ma pudeur, inonde mon corps, submerge mon esprit, me possède, me féconde, me berce, me fait gémir de plaisir.

Nos gargouilles et chimères, par Sana Guessous

Ecrit par Sana Guessous , le Mardi, 31 Mai 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Les gargouilles, les chimères. Les rondes, celles au nez empâté. Les longues, les serpentines, qui vomissent de l’eau sale. Celles aux oreilles pointues, à la gueule grimaçante, aux yeux exorbités. Les cornues, les bossues, les griffues, les écaillées, les carapacées, les ailées, les rampantes, les dentues et les édentées.

Elles sont partout, les gargouilles. Ma vue en est pleine.

À Rouen, les gargouilles sont malheureuses comme les pierres qui les soutiennent. Il y a longtemps qu’elles ne font plus peur à personne. Même les gamins s’amusent de leurs tronches grotesques, menaçantes. Il paraît qu’elles protégeaient les églises des diables et des pécheurs. Qu’elles dégueulaient le mal hors des cathédrales et des tribunaux. Cruelle ironie.

Aujourd’hui, elles agrémentent des murs désertés, rongés d’humidité. Elles ornent les selfies réjouis des touristes. Elles ont perdu de leur superbe et gagné en « mignoncité » et en likes sur Instagram.

Déhiscence, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 24 Mai 2016. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Je suis née dans une mine d’or. Je suis issue d’une double culture. J’ai été conçue par un père qui descend de la montagne, portant jusqu’au bout les valeurs intransigeantes de la parole donnée et de l’honneur collectif. J’ai été portée, bercée, nourrie par une mère citadine, native de Bejaïa, veillant farouchement sur les us et traditions qui ont fait de cette ville un phare où une lumière douce et étincelante brille loin ; aussi loin que des hommes et des femmes ont voulu la porter.

J’ai grandi dans un environnement familial qui baignait dans une richesse linguistique qui, je reconnais aujourd’hui, a grandement contribué à m’inciter à appréhender le Monde dans sa richesse et sa diversité aussi bien humaine, culturelle que linguistique. Le kabyle, langue de mon père ; l’arabe bougiote, le parler de ma mère ; et entre les deux, est venu s’immiscer dans ma pratique linguistique, naturellement, le français, langue de mon identité à la fois revendicatrice et réconciliatrice ; cette langue qui creuse au fond de mon intériorité pour chanter haut et fort les mouvements de mes tempêtes, de mes accalmies, de mes joies, de mes frustrations, de mes espoirs, de ma croyance profonde en un Monde à la beauté à la fois farouche et généreuse. Plus tard, dans le cadre de ma scolarisation, mon univers linguistique s’est enrichi avec l’arabe littéraire et la langue anglaise.