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Nouvelles

Le mystère parfois nous effraie, par Marc Ossorguine

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 22 Décembre 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Il sort de la maison. Il ou elle ? A vrai dire ce n’est pas si évident. Dans cette ombre entre chien et loup, tous les chats sont gris et toutes les silhouettes sont floues, incertaines. La démarche semble plutôt féminine. La carrure, masculine. A moins que ce soit les vêtements qui la transforment. Ce que l’on devine des cheveux pourraient être l’un ou l’autre. De toute façon, les femmes aux cheveux courts sont aussi fréquentes que les hommes aux cheveux longs, non ? Alors, homme ou femme, on ne peut vraiment se décider.

Une silhouette sort de la maison. Quelle maison ? Une maison. Une parmi d’autres. Pas très différentes de celles qui sont en amont ou en aval dans la même rue. Assez semblable à celles qui sont de l’autre côté de la rue. Et même de celles qui sont dans les autres rues.

A quoi ressemblent ces maisons ? Difficile à dire, dans le clair obscur qui s’est installé on ne distingue en fait que des ombres de maisons. Des masses indistinctes que l’on a peine à séparer les unes des autres. Des blocs d’obscurité claire vaguement rythmés sur le ciel.

Où s’en vont nos peurs ?, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mardi, 19 Décembre 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Il était plus de quatorze heures lorsque nous franchîmes le seuil du portail de la Qobââ. Discrètement, ma mère glissa deux billets dans les mains du gardien du lieu qui nous accueillit chaleureusement. Il héla un petit garçon et lui ordonna de nous accompagner. Nous descendîmes les escaliers en silence ; à peine si nous ne formions pas une procession de sacrifiés qui se dirigeait vers le poteau des fusillés. Notre guide interrompt notre descente, tourne à gauche et nous conduit vers un patio qui mène vers une fontaine en marbre bleue sur laquelle est écrit en lettres dorées El Bayt el’atiq’.

Cette maison antique avait deux portes qui faisaient face à la fontaine. Mon guide m’escorte vers celle de gauche ; il ouvre la porte et m’invite à pénétrer dans la pièce, puis il disparaît de ma vue. Saisie d’une tristesse obscure, ma peur se recroqueville sur son ombre transie de froid. Un mastaba en bois couvert de soie s’offre à mes fesses. Une main brusque et maladroite me vêtit d’un burnous blanc. Je m’assois sur le mastaba. Une mouche grosse comme un noyau d’abricot suce le sang de ma tête. Une voix féminine dit promptement :

Les rêves naissent des ailes des pigeons rôtis, par Nadia Agsous

Ecrit par Nadia Agsous , le Mercredi, 08 Novembre 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

C’est grâce à Oustaz (1) M’Hammed El Festi (2) Effendi (3), un charlatan qui appâtait les femmes en leur promettant des remèdes miraculeux ; en leur vendant amour, réussite, succès, guérison et bien-être, que nous nous retrouvâmes, ma mère et moi, en plein été, en Egypte, dans la ville du Caire. Cette année-là, le mois d’août était particulièrement torride. La température atteignait, parfois, jusqu’à cinquante degrés. Malgré la canicule et la chaleur suffocante, tous les jours, à l’aube, la foule pullulante se jetait aveuglément dans la gueule de la vie vociférante. Lorsque le soleil parvenait à son point culminant, la belle et envoûtante Oum El Dounia (4) devenait alors un enfer sur terre.

Tumulte ! Tempêtes de sable brûlant ! Clameur ! Rumeurs ! Klaxons ! Harara (5) ! Zahma (6) ! Fawda (7) !

Nous étions au cœur de la fournaise humaine. La révolution était loin derrière nous. La misère poussait partout ; le désespoir proliférait ; la désillusion était sur toutes les langues. La ville et ses bas-fonds pouilleux, crasseux, miteux, miséreux, diffusaient une odeur âcre. C’était le temps de la remise de soi à une fatalité qui collait aux basques de ce peuple comme une sangsue. L’espoir d’une vie meilleure avait été définitivement enterré.

Société à responsabilité limitée, par Sandrine Ferron-Veillard

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Lundi, 06 Novembre 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

« D’un côté, la réalité objective des rivières, des arbres et des lions ; de l’autre, la réalité imaginaire des dieux, des nations et des sociétés. Au fil du temps, la réalité imaginaire est devenue plus puissante, au point que de nos jours la survie même des rivières, des arbres et des lions dépend de la grâce des entités imaginaires comme le Dieu Tout-Puissant, les États-Unis et Google ».

Sapiens, Yuval Noah Harari, Albin Michel, 2015

 

Au plus célèbre des cyniques, le journaliste aurait recommandé ce cher Monsieur Piéchut-Dion.

Bon petit homme, rondelet et dégarni, petit, rond, dégarni et assurément très vilain. C’est à la question du journaliste « connaissez-vous un illustre cynique en politique ? » qu’Eugène Piéchut-Dion répondit le 3 mai 2014 : moi !

Du non-sens ! affirmer être un cynique revient déjà à ne plus l’être et ne pas y croire, encore davantage.

Le Garçon bleu – Histoire picturale, par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Lundi, 30 Octobre 2017. , dans Nouvelles, Ecriture, La Une CED

 

Donner une couleur aux garçons aimés est un passe-temps futile, poétique, peut-être maladif, mais qui en vaut un autre, je crois. Certains collectionnent les cartes postales de l’Afrique coloniale, les affiches publicitaires des années cinquante, les capsules de bière, les disques de Fréhel, ou consacrent le peu d’espace où nous parasitons ce globe à acquérir des appartements climatisés dans des pays où ils ne mettront jamais les pieds ou à bâtir une œuvre qui ne leur survivra pas quinze jours. Moi, j’ai plaisir à choisir ceux qui m’émeuvent selon la place où je les classerai dans la palette intime de mes dilections. Un été, dans le sud de la Malaisie puis à Java, un Garçon jaune ne m’a pas quitté. Personne ne m’a rendu plus heureux puis plus malheureux que lui. Il a disparu un matin, emportant quelques objets personnels auxquels je tenais beaucoup mais dont je n’ai pas regretté la perte. Il va sans dire que la couleur que je lui attribue est sans rapport avec celle de sa peau ou de ses yeux, ni avec des préférences vestimentaires – encore que, selon une analogie retorse, on pourrait quand même établir une relation.