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Les Livres

Chair papier, Juliette Brevilliero (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 13 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Galilée

Chair papier, Juliette Brevilliero, septembre 2020, 96 pages, 12 € Edition: Editions Galilée

 

Le titre Chair papier tient la promesse des thèmes abordés dans ce premier recueil de poésie de Juliette Brevilliero, ouvert par le poème La femme livre, un portrait possiblement idéal de la Poétesse dans son sens empirique. L’obsession de la création littéraire et l’obsession des mots qui ne viendront peut-être pas sont mêlées à une sensualité ininterrompue, qu’elle se trouve dans les vocables eux-mêmes ou dans les corps que nous croisons. Car ce qui est physique ne cesse pas d’être marié à ce qui est écrit, à ce qui est lu : la volonté de la poétesse est de troubler (non pas de tromper) son monde en faisant des signifiants et des signifiés son armée, une armée mixée, mais si cela apparaît comme un jeu valable de poète, en aucun cas il ne s’avère gratuit. Cette volonté est l’expression d’une quête, d’un sens à apporter, d’une direction. Les poèmes se boivent ici comme des sensations, où l’on tend à un rapprochement exalté, exceptionnel avec l’autre, où l’on appréhende et accepte les déceptions d’un amour qui avait l’allure du parfait : « Mon cœur veut des mots plus forts / des mots qui impriment le ciel / Que ferons-nous s’ils ont tort ? » ; « mes lettres s’emmêlent aux tiennes / qu’elles foudroient l’infini ».

D’un pas déviant (Fragments de l’attente), Pierre-Yves Soucy (par Jean-Charles Vegliante)

, le Lundi, 12 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

D’un pas déviant (Fragments de l’attente), Pierre-Yves Soucy, éditions La Lettre volée, mai 2020, 143 pages, 19 €

Pierre-Yves Soucy, dont on sait maintenant le précieux appui éditorial qu’il apporte régulièrement aux poètes de Belgique, du Québec et d’ailleurs, propose aujourd’hui un recueil considérable à divers égards, qui frappe d’abord par la rigueur de sa forme typographique d’une parfaite clarté, dont on suppose et devine qu’elle obéit à un « pas » peut-être « déviant », mais sans doute néo-réglé assez fermement. Cette première impression, jamais démentie au long des cinq sections de l’ouvrage, semble correspondre à la tentative de spatialiser l’attente (donc le temps, bien sûr) depuis l’évocation d’une « cassure », et la quête de ce qui demeure « avant les mots », jusqu’à l’inachèvement attendu, lequel est bien souvent le sommet et la déception du poème. Sur la page, puisque c’est toujours de cela qu’il s’agit, on assiste à une dispersion bien tempérée – d’où les « fragments » – selon des envols ou plutôt des essaims de mots, assourdis ou çà et là éclairés de reflets, comme danses de corpuscules au soleil. Alors affleure et disparaît aussitôt une dimension narrative, certes inévitable dès l’instant où le langage doit suivre une succession (Barthes), mais ici plutôt inattendue, voire contenue et réprimée par le recours au fragment et à la pause.

La solitude Caravage, Yannick Haenel (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 12 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Arts, Folio (Gallimard)

La solitude Caravage, 336 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): Yannick Haenel Edition: Folio (Gallimard)

 

Le Caravage ou la dernière des solitudes

Evoquer la figure du peintre Le Caravage revient à se heurter à beaucoup d’inconnues. Cet artiste fut d’ailleurs quasiment oublié pendant de longs siècles. C’est au milieu du XX° que l’historien de l’art Roberto Longhi a exhumé son œuvre et sa mémoire des tombeaux de l’histoire. Et c’est un cadavre auréolé de toute une légende qui va alors resurgir. Déjà, à son époque, on le considérait comme un « extravagant » ainsi que le jugeait l’un de ses mécènes le cardinal Del Monte. Et on ne cesse de le qualifier aujourd’hui comme un artiste maudit à l’instar de Villon, Sade ou Rimbaud, peut-être à tort. Il est vrai que c’est un peintre passionné, c’est le moins que l’on puisse dire, un être fiévreux, ombrageux, à la vie incandescente et au tempérament de flamme. Un esprit transgressif encore, frondeur, bagarreur et qui fut poursuivi dans les dernières années de sa courte vie pour un crime commis au cours d’une rixe. Une sorte de « bad boy » dans le XVI° siècle italien.

Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 12 Octobre 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie, Editions Tarabuste

Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud, éd. Tarabuste, août 2020, 72 pages, 12 €

 

Fluide existence

Le fil, même tendu, presque nerveusement, qui lie l’artiste à son enfance, et puisque ce livre nous y invite, est une tension, une attache, une liaison, un raccord avec la littérature, laquelle soutient, justifie, anime cette démarche. Du reste, il y a dans cet ouvrage, dans ce recueil poétique, deux champs organisationnels : le souvenir, l’enfance en sa mémoire spécifique, et le langage qui inscrit, saisit, redit, verbalise le souvenir. Et ces deux ligatures ne font qu’une trame : la chambre, une chambre, une chambre du souvenir, de l’enfance.

Cela dit, cette locution, l’endroit d’où parle le texte, est une voix féminine. Celle d’une enfant qui cherche à se définir, ou plutôt qui cherche à s’écrire, se décrivant aujourd’hui dans la mémoire, enfant traquant, esquissant peut-être la forme que fut l’enfant, la très jeune fille. Il y a donc un dédoublement, une discrépance dans les liens de la mémoire : d’un côté la femme qui est, parce que petite fille, et de l’autre, la femme qui n’est pas, car les définitions sont labiles ; donc une enfant qui n’est pas une fille, mais en train de devenir une fille, devenant fille.

L’Ile des esclaves, Marivaux (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 09 Octobre 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard), Théâtre

L’Ile des esclaves, Marivaux, juillet 2020, 128 pages, 2,95 € Edition: Folio (Gallimard)

 

L’Ile des esclaves met en scène la situation suivante : échoués sur une île, quatre protagonistes, deux maîtres et deux valets, sont avertis par Trivelin, le gouverneur de l’île, qu’ils doivent échanger leurs statuts, leurs noms et leurs habits pendant une durée de trois ans. Ainsi, Arlequin et Cléanthis prennent les rôles et les apparences de leurs maîtres, le général athénien Iphicrate (qui signifie « celui qui gouverne par la force » en grec) et l’aristocrate Euphrosine (prénom de l’une des trois Grâces de la mythologie grecque, qui signifie « joie »), ces derniers devenant leurs valets.

On pense aux fêtes romaines des Saturnales, qui se déroulaient en décembre pendant une semaine et pendant lesquelles les barrières sociales disparaissaient, maîtres et esclaves étaient égaux et s’offraient des cadeaux, organisaient des réjouissances. Mais Marivaux va plus loin puisqu’il propose une véritable inversion des rôles : on est au XVIIIe siècle et la révolution française n’est pas loin.