Dictionnaire amoureux du tennis, Laurent Binet, Antoine Benneteau (par Arnaud Genon)
Dictionnaire amoureux du tennis, Laurent Binet, Antoine Benneteau, septembre 2020, 566 pages, 25 €
Ecrivain(s): Laurent Binet Edition: Plon
Manifeste savoureux pour la petite balle jaune
L’écrivain Laurent Binet, auteur notamment de HHhH (Grasset, 2010) et de Civilizations (Grasset, 2019, Grand Prix du roman de l’Académie française), s’est associé à l’ancien joueur professionnel de tennis, Antoine Benneteau (pas Julien, son frère), aujourd’hui journaliste, réalisateur et producteur, pour proposer un nouveau volume de la collection à succès des « Dictionnaires amoureux », publiés aux éditions Plon.
L’intérêt de ces ouvrages, on le sait, réside dans leur caractère subjectif, personnel, intime, dans la relation amoureuse, parfois même passionnelle que les auteurs entretiennent avec leur sujet. On évite ainsi l’aspect encyclopédique, trop sérieux et parfois – disons-le – ennuyeux, de ces gros livres rangés sur les plus hautes étagères de la bibliothèque. On aime davantage à les disposer sur la table de nuit ou sur celle du salon, à y lire une entrée, laissant les autres en suspens, comme autant de promesses à venir…
Le Dictionnaire amoureux du tennis ne déroge pas à la règle. On y chemine, comme aimait le faire Montaigne, « à sauts et à gambades », de préférence, en ne suivant pas l’ordre alphabétique mais plutôt celui de nos propres amours. Ainsi, on pourra l’ouvrir pour commencer à la lettre F, en se dirigeant plus précisément vers « Federer » à qui deux entrées (aurait-on pu faire moins ?) sont consacrées. Ce même Roger est d’ailleurs, selon l’aveu des auteurs, « le fantôme encore vivant qui hante ce dictionnaire et le monde. C’est le highlander : il ne peut en rester qu’un, et c’est lui ». Voilà son secret enfin percé au bout des lignes qui lui sont dédiées : « son corps lui obéit absolument ». Les fans de son meilleur ennemi ne seront pas déçus par le sort réservé à Nadal : « Rien que de le regarderjouer m’a toujours épuisé. Alors écrire sur lui… ». Pour Nadal, nous disent Antoine Benneteau et Laurent Binet, le plan est simple : « Vous casser la gueule, méthodiquement mais furieusement. Vous démonter. Vous démanteler. Vous étouffer ET vous exploser ». L’écriture est ici aussi efficace que le coup du lasso du taureau de Monacor. Quant à la rivalité entre l’Espagnol et le Suisse, ils disent mieux que quiconque ce qu’il faudra retenir : « Ils finiront ensemble, comme les amants de Pompéi pris dans la cendre ». Djokovic, lui, reste à sa place d’homme-machine et au drame qui est le sien, quoi qu’il advienne : il n’aura jamais « l’aura » des deux autres. « Il arrivera toujours après ».
Il ne faudrait pas réduire ce Dictionnaire amoureux du tennis à l’évocation de quelques noms célèbres. Si un sort est réservé à tous les sopranos et ténors de la balle jaune (de Bianca Andreescu aux sœurs Williams pour les femmes, et d’André Agassi à Mats Wilander pour les hommes), ainsi qu’à une grande partie des joueurs français (la notice sur Noah est plus longue que les deux de Federer réunies), certaines des entrées permettent l’évocation d’anecdotes tour à tour amusantes (imaginez les lignes réservées à McEnroe dans la section « Arbitre »), littéraires (les références aux Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes pour aborder l’« Attente » de la victoire d’un Français en grand chelem ou encore les lignes se penchant sur la « Créativité ») ou même quasi pop-philosophiques (entrées « Mort » ou « Double faute », par exemple).
Laurent Binet, qui avait consacré un polar parodique au structuralisme et à la « French Theory » (La Septième fonction du langage, Grasset 2015, prix Interallié), connaît bien l’art de la déconstruction qu’il applique ici parfaitement – de manière légère, humoristique mais toujours intelligente – à cet autre art, celui du tennis, pratiqué dans d’autres arènes… Il en résulte un ouvrage savoureux (Roland Barthes, à la fin de sa Leçon (Seuil, 1978), rappelait que savoir et saveur ont la même étymologie), un véritable « manifeste écrit par deux amoureux de ce sport » qu’il fait bon lire en ces temps où le Coronavirus (il en est question dans le Dictionnaire) nous prive des émotions que procure la pratique de ce sport. A défaut de pouvoir tenir sa raquette comme si sa vie en dépendait, le lecteur-tennisman (pratiquant ou pas) traversera amoureusement ce livre amoureux pour patienter avant la reprise (on l’espère rapide) des festivités tennistiques…
Arnaud Genon
Laurent Binet est notamment l’auteur de HHhH (Grasset, 2010, Prix Goncourt du premier roman), et de La septième fonction du langage (Grasset, 2015, Prix du roman Fnac, prix Interallié). Il a été professeur de lettres pendant dix ans en Seine-Saint-Denis.
Antoine Benneteau est réalisateur/producteur de documentaires et de podcasts et animateur sur Eurosport.
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