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Les Livres

Une écharde dans la chair, Réginald Gaillard (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 13 Janvier 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Une écharde dans la chair, Réginald Gaillard, éditions de Corlevour, décembre 2024, 135 pages, 18 €

 

Témoignage de la perte

Quel sujet difficile que celui de la transcription poétique de la perte d’un être cher (je le sais, ayant perdu à 20 ans d’intervalle deux de mes sœurs, ce qui m’a poussé davantage vers l’écriture poétique). Le recueil de Réginald Gaillard parvient à dresser non pas tout à fait une élégie pathétique, mais un chant de désespoir et de manque. Celle qui a disparu, malgré tout a été une chair aimante, un corps que le souvenir garde en lui-même comme une trace indélébile. Du reste, le poème rend compte de cette corporalité – et encore celle du poète. Ce dernier s’appuie sur une tache violente, intraduisible, je veux dire la mort.

Le texte est sans cesse rôdant sur le seuil de la vie, voyant dans la personne morte celle d’une aimée, y compris dans sa présence sexuelle, l’odeur de cyprine, des jambes qui s’entrouvrent. C’est pour cela que ces poèmes débordent de simples élégies, confiants dans l’anamnèse physique de celle qui est perdue. La mort reste chair.

La Collectionneuse, Emmanuelle Pétry-Sirvin, Lucille Placin (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 10 Janvier 2025. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Jeunesse

La Collectionneuse, Emmanuelle Pétry-Sirvin, Lucille Placin, éditions L’Étagère du bas, novembre 2024, 32 pages, 18 €

 

Catalogue plastique

Dès les premières pages, ce très récent album jeunesse de grand format, de 25x34 cm, intitulé La Collectionneuse (appellation chère à Annette Messager), propose une multitude de vignettes – logotypes et marques inventés. Échantillon qui n’est pas sans rappeler l’univers d’Alain Bublex avec ses réclames publicitaires apposées sur des photographies de villes. Mais également, l’accumulation de peluches semble un clin d’œil à Charlemagne Palestine (et encore une fois aux installations de Messager). Ce catalogue plastique de joyeux assemblages est étoffé de détails minutieux, lisibles, chaque élément de la composition étant doté d’un nom – d’où l’importance des mots et l’approfondissement du vocabulaire pour les plus petits.

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Vendredi, 10 Janvier 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau, éditions Unicités, octobre 2024, 141 pages, 14 €

Marie-Hélène Prouteau nous réveille à temps. Nous étions sur le point de ne plus penser à Paul Celan.

Cette poésie d’inconfort, ce destin de mots qui bougent, frappent, surtout de mots qui résistent, se faufilent, étincellent. Marie-Hélène Prouteau, dans un court ouvrage intitulé Paul Celan, Sauver la clarté, nous aide dans son œuvre poétique à y voir plus clair.

Y croiser dans cette biographie en désordre Mandelstam, Rilke, Kafka ou Kropotkine, Jean Bruller alias Vercors, Walter Benjamin, Pasternak ou Desnos. De ce dernier apprendre de cette lettre de Youki à Gaston Gallimard l’histoire surréaliste et tragique de la boîte de chocolats de Robert Desnos…/… Il y cachait le manuscrit d’un roman d’amour et les lettres de son épouse. Initiative fatale. La boîte Marquise de Sévigné fut volée par un prisonnier russe. Desnos, espérant retrouver la précieuse boîte donna ses rations de nourriture et se refusa à quitter le camp gagné par le typhus. Il mourut terrassé par la maladie.

Tendre est la province, Thomas Morales (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions des Equateurs

Tendre est la province, Thomas Morales, Éditions des Équateurs, octobre 2024, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Thomas Morales Edition: Editions des Equateurs

 

« Je déteste par-dessus tout que l’on piétine mon pré carré et moque mes aînés. J’ai de l’estime pour les miens, commerçants berrichons et forçats venus d’Andalousie. C’est pourquoi je relie la nostalgie à la province, parce qu’elle me semble être son terroir naturel. Son espace de réenchantement » (« Suis-je le dernier Dodo ? », Tendre est la province).

« Je me damnerai pour un merlan en colère et une tranche de persillé, une épaule d’agneau pommes boulangères, des paupiettes, un navarin, du tendron de veau à la tomate et des œufs meurette. Mon grand-oncle, empereur du boudin et de la tripaille, limougeaud et laudateur de la race limousine, débarquait avec des pâtés, des rillettes et rillons, un jambon à l’os d’excellence et un jambonneau aussi époustouflant qu’une strophe de Cocteau » (« Appétit sans frontières », Tendre est la province).

Nord Sentinelle, Jérôme Ferrari (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud, En Vitrine, Cette semaine

Nord Sentinelle, Jérôme Ferrari, Actes Sud, août 2024, 140 pages, 17,80 € . Ecrivain(s): Jérôme Ferrari

 

La maîtrise élégante et parfaite de la langue, dans une déclinaison impeccable des registres et des tonalités, place d’emblée ce bref roman dans les meilleurs de cette rentrée. Ferrari jubile et nous fait jubiler et, son plaisir évident de trucider, rend sa charge ébouriffante. Car c’est une charge que ce roman, bien au-delà de l’histoire noire qu’elle raconte.

Les objets de cette charge ? Rien moins que le colonialisme, le tourisme et la violence ancestrale des vieilles familles corses.

Dans le cannibalisme colonial, celui qui commence par l’arrivée d’un premier découvreur et continue par le déferlement qui le suit inévitablement, s’inscrit en lettres de sang et de feu le désir du prédateur de conquérir, posséder, exploiter. Le lien vers le symptôme du touriste est inévitable : même soif de jouir d’un lieu, d’en tirer plaisir, de se sentir tout-puissant par l’argent, de saccager enfin lieux et culture sans scrupule.