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La Une Livres

Une fille d’Alger, Jean-Michel Devésa

Ecrit par Theo Ananissoh , le Mercredi, 11 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Une fille d’Alger, éditions Mollat, mars 2018, 143 pages, 20 € . Ecrivain(s): Jean-Michel Devésa

 

Comme dans Bordeaux la mémoire des pierres, son précédent et premier roman, Jean-Michel Devésa livre dans Une fille d’Alger– avec la même qualité d’écriture et d’atmosphère – un mélancolique exercice de mémoire.  Hier, c’étaient des vies et des amours en proie au franquisme ; dans ce deuxième roman, ce sont d’autres déchirements tout aussi douloureux, ceux de la fin de l’Algérie française dans laquelle l’auteur est né. Jean-Michel Devésa ne choisit pas – si tant est qu’on soit libre à ce propos – des périodes pour ainsi dire légères. Dans Une fille d’Alger, le romancier semble lui-même très impliqué. Le narrateur nous fait le récit autour de 2015. Il est interne au roman d’une manière particulière – par ses souvenirs d’enfant à Bab El Oued puis d’adulte revenu en Algérie dans les années 80 – double coïncidence avec la biographie de l’auteur. Mais cette voix qui conte n’est nulle part nommée autrement que par « le narrateur » ou « le scripteur ». Il n’est du reste pas le seul qui nous rapporte les faits. Hélène Samia Lapérade, « bâtarde d’une Française et d’un bicot », ladite fille d’Alger sans doute, complète régulièrement ce récit de la fin d’un monde en terre algérienne. Question de cohérence. Si le narrateur-auteur est lui-même présent dans le roman, c’est à Hélène Samia de dire mieux son intimité de prostituée et… d’amoureuse de Raymond Rossi, un parrain du milieu plutôt placide.

Sillons, Laura Tirandaz, Judith Bordas

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 11 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Arts

Sillons, Aencrages & Co, coll. voix de chants, avril 2017 (pas de pagination), 18 € . Ecrivain(s): Laura Tirandaz, Judith Bordas

 

Les linogravures de Judith Bordas jouent de quelques couleurs (bleu délavé, lie de vin, orange, jaune…) pour matérialiser flou, personnages, empreintes sur une plage, avec un rendu proche des papiers peints.

Tissant texte et œuvre graphique, la maison d’édition, spécialisée en poésie, propose ici le travail en prose poétique de Laura Tirandaz, entre récit d’un œil ambulant, sensations naturalistes et descriptions d’un petit monde qui circule à l’heure des vacances, dans ce port non nommé, au bord de la Grande Bleue.

L’œil ethnographe enregistre tout : un homme réfugié sur le sable, des « pissotières », un marché qui se monte, la circulation de l’air, des gens, le ciel et ses « mouettes (qui) jouissent du spectacle », une mère et son enfant, le regard s’appuie, décèle, pointe, scrute, les étals, les mains, un retour au passé (par le biais d’une stèle commémorative « Morts en Algérie »). La prose, non ponctuée, sert excellemment le propos d’enregistrer au kilomètre, à la chaîne, les impressions, les rendus, quitte à réserver entre les lignes des motifs d’émotions.

J’ai vingt ans, Matthias Vincenot

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 10 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

J’ai vingt ans, éditions Fortuna, mars 2018, 68 pages, 10 € . Ecrivain(s): Matthias Vincenot

 

 

La poésie de Matthias Vincenot s’exécute comme une chanson nous insufflant l’air qui manque, une nostalgie douce comme le refrain d’une mélodie que l’on fredonne encore, avec du sang neuf dans les circuits / « dans les anfractuosités de la mémoire » parfois ombrageuses, dans le flux de nos artères, de nos escapades et par toutes les veines du poème.

« J’ai vingt ans », affirme le poète Matthias Vincenot, le temps après tout n’étant (presque) qu’accessoire, puisque seules comptent les minutes d’enchantement qui nous maintiennent en apesanteur ; puisque l’on garde l’âge intemporel de ses vingt ans tant que le cœur bienveillant offre la possibilité des rencontres accueillantes, des roses, des sourires et des durables choses. Ainsi ce sentiment d’« Être parmi nous » qui fédère les amitiés :

Jours tranquilles à Bangkok, Lawrence Osborne

Ecrit par Arnaud Genon , le Lundi, 09 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Voyages

Jours tranquilles à Bangkok, Hoëbeke février 2018, trad. anglais Béatrice Vierne, 284 pages, 21 € . Ecrivain(s): Lawrence Osborne

Un autre monde

C’est l’appel du large, le rêve de l’ailleurs qui a souvent poussé les écrivains à entreprendre les voyages les plus lointains. « Je partirai ! Steamer balançant ta mature, / Lève l’ancre pour une exotique nature ! » écrivait en son temps Stéphane Mallarmé dans Brise marine.

Dans le cas de Lawrence Osborne, écrivain-voyageur, romancier ayant notamment obtenu le prix Lire du meilleur livre de voyage en 2016 pour Boire et déboires en terre d’abstinence(Hoëbeke, 2016), l’attrait pour Bangkok a d’abord été plus prosaïque : n’étant pas en mesure de régler sa cotisation d’assurance santé à New York, il a été contraint de trouver une terre où les soins dentaires seraient moins onéreux… Il le déclare lui-même, dès les premières pages, « la raison d’être de [s]a présence en Thaïlande était purement financière ».

Cependant, l’auteur tombe rapidement sous le charme d’une ville ahurissante où la vie devient très simple, même quand « on n’a pas le sou ». Ici, le corps « perd de sa fougue et de sa nervosité », les rapports physiques – sexuels, mais pas seulement – sont banalisés, les sens – l’odorat, le goût – sont stimulés par de nouvelles expériences culinaires, le rythme de vie est modifié et la nuit devient le moment privilégié de tous les éveils.

Lettres IV (1966-1989), Samuel Beckett

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 09 Avril 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Gallimard, Correspondance

Lettres IV (1966-1989), avril 2018, trad. anglais Georges Kahn, 952 pages, 19 € . Ecrivain(s): Samuel Beckett Edition: Gallimard

 

Samuel Beckett : in media res

Ce quatrième tome accompagne le lecteur des années de gloire de Beckett à sa fin de Beckett. On ne peut pour autant parler de grandeur et misère. Beckett n’est pas saisi par effluves des lauriers du sentier de la gloire pas plus que par la mort qui rôde. Et ses lettres ponctuent par leur facticité une œuvre qui n’exprime pas la « vraie » vie, mais néanmoins n’est pas indifférente à toutes les variations qui peuvent s’y présenter. Elles permettent par leur actualitéde regarder le monde phénoménal tandis que l’œuvre en distille une musique particulière avecsa capacité d’abstraction et de dépouillement.

Un tel corpus est passionnant. Beckett y est affable, simple, jamais obséquieux. Toujours « vrai ». Et cela donne un autre écho à ce qui, dans romans, pièces, films, « textes », possède la généralité de la forme pure, dont la matière est presque absente et qui n’exprime de la vie et de ses événements que la quintessence. Les lettres à l’inverse expriment des universaliae in media res.