Lettres IV (1966-1989), Samuel Beckett
Lettres IV (1966-1989), avril 2018, trad. anglais Georges Kahn, 952 pages, 19 €
Ecrivain(s): Samuel Beckett Edition: Gallimard
Samuel Beckett : in media res
Ce quatrième tome accompagne le lecteur des années de gloire de Beckett à sa fin de Beckett. On ne peut pour autant parler de grandeur et misère. Beckett n’est pas saisi par effluves des lauriers du sentier de la gloire pas plus que par la mort qui rôde. Et ses lettres ponctuent par leur facticité une œuvre qui n’exprime pas la « vraie » vie, mais néanmoins n’est pas indifférente à toutes les variations qui peuvent s’y présenter. Elles permettent par leur actualitéde regarder le monde phénoménal tandis que l’œuvre en distille une musique particulière avecsa capacité d’abstraction et de dépouillement.
Un tel corpus est passionnant. Beckett y est affable, simple, jamais obséquieux. Toujours « vrai ». Et cela donne un autre écho à ce qui, dans romans, pièces, films, « textes », possède la généralité de la forme pure, dont la matière est presque absente et qui n’exprime de la vie et de ses événements que la quintessence. Les lettres à l’inverse expriment des universaliae in media res.
Existent – entre autres – des remarques sur l’œuvre elle-même et ses progressions dans le monde de la littérature et du théâtre. Beckett est toujours en connexion avec son travail et prépare même son après et son héritage. Mais le plus intéressant est moins les « démarches » que Beckett effectue que la manière dont il en parle.
Mais reste aussi et surtout la vision « de l’intérieur » sur la fin de sa vie. L’auteur la sent. Il semble devenir comme ses personnages de plus en plus aphasiques – entre autres ceux des œuvres télévisuelles et leurs « fantômes que fantômes ».
La vie s’efface. En particulier dans les lettres des deux dernières années. Les allusions sont nombreuses à la mort qui vient. Elle était là depuis toujours et l’auteur en parle sinon avec détachement du moins lucidement et sans emphase. Juste par touche. Et parfois par anticipation. Une des dernières lettres de juillet 1989 le prouve : « La fin a été douce. La toute fin ». C’est un peu ce qui se passa lors du glissement dans le dernier et irrévocable silence.
Jean-Paul Gavard-Perret
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