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La Une Livres

La patience du baobab, Adrienne Yabouza

Ecrit par Martine L. Petauton , le Vendredi, 09 Mars 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions de l'Aube

La patience du baobab, février 2018, 166 pages, 16,90 € . Ecrivain(s): Adrienne Yabouza Edition: Editions de l'Aube

Bien après l’heure des cadeaux, il en est encore, et ce petit joyau en est la preuve…

Histoire délicieuse, et en même temps profondément sérieuse ; un sourire d’Afrique noire, comme il en est là-bas : humain d’abord, même au cœur des ennuis, avec cette aptitude (ou cette obligation) à plier sans rompre sous les pires orages. Leçon, pour ces « Blancs de France ; (ceux à qui il) faut beaucoup plus de gris-gris qu’aux Africains pour vivre en paix avec les autres… ».

« L’amour, c’est pas plus facile que le reste de la vie… c’est à cause des bâtons dans les roues sous toutes les latitudes », nous dit celle qui parle et palabre, racontant à l’Africaine – c’est-à-dire tellement mieux et passionnant qu’ailleurs – des histoires autour de mariage(s) entre une Noire et un Blanc de France, de Bourgogne-pays du vin, carrément. Deux copines de Bangui – République Centre Afrique ; Ambroisine, celle qui « se mariera le mois prochain, juste avant la saison des pluies » et notre Adrienne-Aisssatou, à moins qu’Aissatou-Adrienne, qui suivra le mouvement. Il est donc question du mariage, ses usages, ses falbalas, en terre africaine – un autre mariage suivra en pays de France (après avoir atterri à « Charlie Di Golle »), mais entre les deux mariages, il faut « avoir survolé une bonne partie du monde, dont le grand désert », et ajouterons-nous, pas mal d’embêtements – mot très faible, en ayant traversé tout ça avec la patience et l’obstination africaine, un sujet en soi.

Microfictions, Régis Jauffret

, le Vendredi, 09 Mars 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Nouvelles, Gallimard

Microfictions, janvier 2018, 1024 pages, 25 € . Ecrivain(s): Régis Jauffret Edition: Gallimard

 

500 microfictions dans lesquelles hommes et femmes se racontent, sans pudeur, avec une honnêteté si déconcertante qu’elle donne à ces récits des allures d’aveux libérateurs consignés dans des journaux intimes. C’est alors aux lecteurs, anonymes, de tenir lieu de réceptacle. Mais les confessions sont souvent si sordides, immondes, immorales ou amorales, si froidement haineuses ou si douloureusement intenables qu’on peine à croire y être entrés sans effraction. L’écriture, ciselée, incisive, provocante ou irrévérencieuse accentue encore cette impression de violation d’intimité. Personnelles et singulières, les vies se résument sans condescendance ni pathos excessifs ; chacune d’elles se recroqueville sur deux pages comme le font les narrateurs dans le carcan de leurs aigreurs et obsessions, de leurs âmes perdues, de leurs corps abîmés. Aucun d’eux ne semble pour autant chercher à s’apitoyer sur son sort. Car si l’heure est à l’introspection, la tendance générale est plutôt au constat froid ou au bilan irréversible : les récits se font factuels, précis, réfléchis et distanciés ; logiquement agencés, ils convergent vers leur note finale, toujours assez foudroyante pour susciter le malaise ou l’effroi, et marquer le point de non retour. Poésie, métaphores, tournures colorées, dérision et humour, sur soi ou sur la vie, viennent savamment alléger ou désamorcer la charge émotionnelle.

Le corps du héros, William Giraldi

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 08 Mars 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, USA, Roman

Le corps du héros (The Hero’s Body), éditions Globe janvier 2018, traduit de l’américain par Vincent Raynaud, 302 p. 22 € . Ecrivain(s): William Giraldi

 

Ode passionnelle au corps humain, ce roman est suffocant de beauté. Corps malingre et maladif, corps sculptural objet d’exhibition, corps mort, William Giraldi nous emmène dans une odyssée des muscles et de la chair dans leur ascension et leur chute finale.

Deux histoires se succèdent ici :

Celle de W. Giraldi Jr d’abord, notre auteur. Enfant malade et privé de mère, élevé tant bien que mal par un père aimant mais dépassé, il grandit dans toutes les fragilités, celles du corps et de l’âme. Oublié, méprisé par ses camarades de classe plus forts et virils, il se recroqueville sur lui-même, ou dans les livres qui lui procurent des univers où sa faiblesse n’est pas infamante. Alors les quolibets pleuvent « fiotte », « fillette »… Jusqu’au jour où le jeune William découvre la fonte, celle que l’on soulève encore et encore, dans le cadre d’une « construction du corps », le body-building.

Madone, Bertrand Visage

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 07 Mars 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, Roman, Seuil

Madone, octobre 2017, 176 pages, 17 € . Ecrivain(s): Bertrand Visage Edition: Seuil

 

Bertrand Visage ou l’enchantement.

Le lait romanesque du romancier français

1) Un auteur rare

Pas possible : ce gars a été biberonné au lait de Stevenson ou de Hardellet. Une magie naît des pages (trop brèves) qu’il livre parcimonieusement : deux livres seulement depuis l’escapade de Un vieux cœur (2001) : Intérieur sud (2008), et cet ultime opus, Madone (2017).

Découvert par le prix Femina 1984, décerné à Tous les soleils (Seuil) – 1984, année faste ; Duras (Goncourt pour L’Amant), Ernaux (Renaudot pour La Place) – Bertrand Visage, né en 1952, d’origine rurale, études secondaires à Illiers-Combray, de lettres à Tours, avant de s’envoler, après un bref passage dans l’enseignement, comme lecteur à Naples, Catane, comme conseiller culturel à Palerme. Un séjour à la Villa Médicis (Académie de France, 1983-1985).

Le garçon qui courait, François-Guillaume Lorrain

Ecrit par Jean Durry , le Mercredi, 07 Mars 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Sarbacane

Le garçon qui courait, janvier 2017, 232 pages, 15,50 € . Ecrivain(s): François-Guillaume Lorrain Edition: Sarbacane

 

Un des moments inoubliables des Dieux du Stade de Leni Riefenstahl : le crâne rond aux cheveux coupés entièrement courts, il martèle son ombre sur le sol à petites foulées implacablement régulières et les gouttes de sueur se détachent l’une après l’autre de son visage. Sur la plus haute marche du podium du marathon des Jeux Olympiques de Berlin 1936, tandis que monte au mât le drapeau du Japon, Son Kitei baissera obstinément la tête [tout comme son compatriote Nam, troisième derrière l’Anglais Harper], précédant de 32 années les Tom Smith et John Carlos révoltés des Jeux de Mexico.

En vérité, il s’appelle de naissance Shon Kee-Chung et il est Coréen. Mais depuis 1919 la Corée n’existe plus aux yeux du monde, rayée, phagocytée par l’envahisseur nippon en constante expansion sur l’Asie du Sud-Est. Ce sont cette histoire et cette douleur dont s’est nourri François-Guillaume Lorrain en romançant avec finesse la destinée réelle du petit garçon de 7 ans qui, détalant à toutes jambes pour échapper comme son aîné d’un lustre Hyo-Dong aux sommations de leur poursuivant en uniforme, prend à peine conscience qu’il a rejoint puis dépassé son grand frère. Ainsi « ce petit bonhomme court sur pattes » qui « jusque-là n’aimait rien tant que la lenteur » se révèle-t-il à lui-même.