Microfictions, Régis Jauffret
Microfictions, janvier 2018, 1024 pages, 25 €
Ecrivain(s): Régis Jauffret Edition: Gallimard
500 microfictions dans lesquelles hommes et femmes se racontent, sans pudeur, avec une honnêteté si déconcertante qu’elle donne à ces récits des allures d’aveux libérateurs consignés dans des journaux intimes. C’est alors aux lecteurs, anonymes, de tenir lieu de réceptacle. Mais les confessions sont souvent si sordides, immondes, immorales ou amorales, si froidement haineuses ou si douloureusement intenables qu’on peine à croire y être entrés sans effraction. L’écriture, ciselée, incisive, provocante ou irrévérencieuse accentue encore cette impression de violation d’intimité. Personnelles et singulières, les vies se résument sans condescendance ni pathos excessifs ; chacune d’elles se recroqueville sur deux pages comme le font les narrateurs dans le carcan de leurs aigreurs et obsessions, de leurs âmes perdues, de leurs corps abîmés. Aucun d’eux ne semble pour autant chercher à s’apitoyer sur son sort. Car si l’heure est à l’introspection, la tendance générale est plutôt au constat froid ou au bilan irréversible : les récits se font factuels, précis, réfléchis et distanciés ; logiquement agencés, ils convergent vers leur note finale, toujours assez foudroyante pour susciter le malaise ou l’effroi, et marquer le point de non retour. Poésie, métaphores, tournures colorées, dérision et humour, sur soi ou sur la vie, viennent savamment alléger ou désamorcer la charge émotionnelle.
« Elle avait trouvé l’énergie de descendre acheter la bouteille dont elle vidait le fond entre deux couplets Je suis allé me coucher déçu. Notre enfant prisonnier dans son ventre comme une poire dans une bouteille d’eau-de-vie ».
« Nous vendons la maison avec la vie qui est dedans.
À charge pour l’acheteur de m’endosser comme un costume d’occasion et d’adopter mon existence que je ne saurais trop lui conseiller de démolir à coups de pied au cul ».
« – La voiture a sauté la glissière de sécurité.
La chaleur de l’été dernier avait fait fondre ma raison. J’ai eu la chance de rentrer chez nous après quatre mois de rééducation. Il suffit à Linda de ranger ma chaise roulante dans les hauteurs du cagibi pour me clouer sur place. L’immobilité calme les fous ».
Même si c’est jaune, du bout des dents, nerveusement, de manière forcée ou contrainte, le lecteur se surprend à rire, sinon sourire. Or c’est une gageure exceptionnelle, que de faire rire ou même sourire le lecteur, à propos de destins si atrocement tragiques. C’est néanmoins sans compter sur le talent remarquable de Régis Jauffret, passé maître en la matière. Tous ses personnages, qu’ils soient meurtriers, assassins, suicidaires, suicidés, violeurs, violés, pédophiles, pervers, sadiques, schizophrènes ou psychopathes, mal aimés, frustrés, désespérés, désœuvrés ou névrosés, acteurs, victimes ou spectateurs, se confessent avec un art exemplaire de la distanciation. Chacun d’eux se déleste d’un poids, d’un secret ou d’un fardeau insoutenable. Ils se font ainsi les passeurs de la noirceur humaine sous toutes ses formes, qu’ils déposent entre les mains du lecteur. À lui de faire avec ces condensés de souffrances et de folies, de s’émouvoir, de suffoquer, de s’insurger et d’accorder, ou pas, des circonstances atténuantes.
Tous les sentiments humains, surtout les plus obscurs, les moins avouables, les plus abjects et les plus douloureux sont passés au crible de cette narration aux vertus cathartiques, puisque ces histoires sont fictives, certes, mais pas que. Car l’humanité est assurément capable des pires ignominies, de même qu’elle sait aussi se perdre dans les affres de l’existence…
Christelle D’Hérart-Brocard
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