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La Une Livres

Les Roses bleues de Ravensbrück, Jeanine Baude (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 21 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie

Les Roses bleues de Ravensbrück, Jeanine Baude, Éditions La Rumeur Libre, avril 2021, 80 pages, 15 €

 

Dédié à nombre de femmes qui ont subi les camps, ici Ravensbrück, et en particulier à sa tante Adrienne, le livre de Jeanine Baude tente un hommage désespéré à toutes celles qui ont souffert des camps nazis et ont « entamé » littéralement leur vie aux griffures des camps de la mort. Parallèlement à ces destins broyés, la poète souligne son propre destin, de souffrante. Elle a connu le cancer et ses affres. Elle chante ainsi à deux tons la destinée des femmes, des blessées, des souffrantes de la vie ordinaire.

La poète sait mieux que quiconque que l’histoire ne se balaie pas d’un coup de déni (comme ces falsificateurs nombreux qui inventent, faussent, mentent sur l’histoire). Baude restitue l’histoire vraie de ces femmes, enfermées dans un camp pour femmes, avec tous les « bleus » de leur histoire. Les voilà traquées, haïes, violentées. Les voilà parquées comme du bétail, prêtes à subir poux, maladies, blessures, faim, viols. Elles sont les « roses bleues », ces roses anéanties, qu’une couleur du bleu de la peau abîmée et meurtrie hisse au destin funeste des victimes, des affligées.

Le Purgatoire, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 20 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Le Purgatoire, Pierre Boutang, éditions Les Provinciales, mars 2021, 430 pages, 30 €

La plupart de ceux qui connaissent le nom de Pierre Boutang l’ont appris grâce aux deux émissions – et au souvenir lumineux qu’elles ont laissé – du magazine télévisé Océaniques, diffusées en octobre 1987. Peu habitué à ce genre de prestation, Boutang y apparut comme un personnage bougon, concentré et ramassé en lui-même, sur la défensive, face à un George Steiner volubile et très à l’aise.

Au début de la première émission, l’animateur – Michel Cazeneuve (1942-2018), lui-même écrivain et spécialiste de C. G. Jung – demanda à ses invités de se présenter réciproquement (ce passage ne figure pas dans la transcription publiée chez Lattès, Dialogues. Sur le mythe d’Antigone, sur le sacrifice d’Abraham, 1994). Steiner qualifia Boutang de « maître d’une certaine solitude, très altière, et qui de temps à autre permet la provocation d’un intérêt passionné ». De son côté, préfaçant la mise en livre de ces entretiens, Boutang écrira : « Le dialogue avec George Steiner, initié dans les années quatre-vingt, comment pourrait-il cesser ? Il m’arrive d’imaginer qu’il se prolonge, et s’accomplit, au Purgatoire, sans que j’aie à prouver l’existence de ce lieu ultime, ni en quel sens c’est un lieu, autrement que par l’étrangeté et la pérennité de notre rencontre ». L’allusion théologique n’est pas gratuite et les termes employés par Steiner – solitude altière – définissent à merveille Le Purgatoire ; non le dogme, mais le livre qui porte ce titre.

Dernière nuit à Montréal / L’Hôtel de verre, Emily St. John Mandel (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Lundi, 20 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Polars, Canada anglophone, Rivages

Dernière nuit à Montréal, mars 2021, trad. Gérard de Cherge, 346 pages, 9,15 € / L’Hôtel de verre, mars 2021, trad. Gérard de Cherge, 398 pages, 22 € . Ecrivain(s): Emily St. John Mandell Edition: Rivages

 

Dernière nuit à Montréal est le premier roman publié par Emily St. John Mandel. Tout commence par une histoire d’amour. Eli, étudiant en linguistique, rencontre Lilia. Il est très épris et pense avoir trouvé en cette dernière la « femme de sa vie ». Lilia semble très attachée à Eli. Et puis, un jour celle-ci dit à Eli vouloir aller acheter le journal. Et, elle ne reparaîtra pas. Eli fera le tour du voisinage, en vain. Et, il se souviendra de ce que lui avait raconté Lilia, que son père l’avait enlevée, l’arrachant à l’emprise d’une mère qu’elle n’aimait pas et qui n’avait d’attention que pour son frère. Elle n’avait alors que sept ans. Elle lui avait dit aussi avoir voyagé de lieu en lieu, d’hôtel en refuge quatorze ans durant, fuyant cette mère. Il lui arrivait juste de laisser sur les pages des bibles Gideon trouvées dans les hôtels quelques lignes : « Arrêtez de me chercher. Je n’ai pas disparu ; je ne veux pas qu’on me retrouve. Je désire rester volatilisée. Je ne veux pas renter à la maison. Lilia ». Seulement, aujourd’hui Lilia est majeure et peut faire ce qu’elle veut.

Perturbation, Thomas Bernhard (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 17 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Gallimard

Perturbation, Thomas Bernhard, trad. allemand, Bernard Kreiss, 220 pages, 9,50 € . Ecrivain(s): Thomas Bernhard Edition: Gallimard

 

Sombre journée ! Sombres pensées auxquelles est livré le narrateur ! Sombre tournée que, jeune étudiant autrichien, il effectue avec son père, médecin de campagne, qui l’a invité à l’accompagner dans l’itinéraire tortueux et bourbeux de ses visites habituelles à des patients repoussants dont l’état de morbidité, l’existence bornée, le rapport au monde, le mal-être latent, la méchanceté naturelle et les propos décalés plongent le lecteur dans un malaise permanent, oppressant et… prenant.

« Maintenant, dit [mon père], il emmenait plus souvent son fils, c’est-à-dire moi, il me fallait apprendre à connaître le monde, c’était absolument indispensable ».

Sombres décors, sombre vallée, sombre café, sombre moulin, sombres habitations, sombre château enfin, perché en haut de nulle part et surtout sombres spécimens de l’espèce humaine : tels sont les divers éléments de ce poignant itinéraire narratif, tel est le monde que le médecin veut que son fils connaisse.

« Il y avait en effet plus de brutes et de criminels à la campagne qu’à la ville. A la campagne, la brutalité tout comme la violence étaient fondamentales ».

Berlin Requiem, Xavier-Marie Bonnot (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Vendredi, 17 Septembre 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Plon

Berlin Requiem, Xavier-Marie Bonnot, septembre 2021, 360 pages, 19 € Edition: Plon

 

Que peut un artiste, un intellectuel, une sommité face à la barbarie d’un régime totalitaire ? Xavier-Marie Bonnot tente de répondre à cette question en mêlant dans ce roman des éléments historiques, tels que les relations du chef d’orchestre du Philarmoniker de Berlin, Wilhelm Furtwängler, avec le régime nazi et ses dignitaires ; et par l’introduction de personnages totalement fictifs, Rodolphe Meister, fils d’une célèbre cantatrice, Christa Meister. Tous trois sont nés à Berlin, se connaissent et se fréquentent, à tel point que le jeune Rodolphe, musicien lui-même, envisage secrètement d’égaler Furtwängler et de le remplacer, si le destin lui sourit. Mais dans ce récit, ce qui est abordé, c’est la question du rapport de l’art et du pouvoir politique. Ainsi, une conversation entre le Führer et le célèbre chef d’orchestre est-elle évoquée au début du roman : les divergences sur le pouvoir de la musique apparaissent : pour Hitler, c’est faire de la musique le « guide de tout un peuple » ; pour Furtwängler, la musique agit autant sur la raison que sur les sentiments. A la fin de cette conversation, le maestro trouve Hitler commun et médiocre : « Cet homme a une multitude d’idées marginales et fort conventionnelles sur l’art. Sa médiocrité m’aurait effrayé si je n’avais pas été persuadé que jamais il ne parviendrait au pouvoir », note-il dans son carnet.