Berlin Requiem, Xavier-Marie Bonnot (par Stéphane Bret)
Berlin Requiem, Xavier-Marie Bonnot, septembre 2021, 360 pages, 19 €
Edition: Plon
Que peut un artiste, un intellectuel, une sommité face à la barbarie d’un régime totalitaire ? Xavier-Marie Bonnot tente de répondre à cette question en mêlant dans ce roman des éléments historiques, tels que les relations du chef d’orchestre du Philarmoniker de Berlin, Wilhelm Furtwängler, avec le régime nazi et ses dignitaires ; et par l’introduction de personnages totalement fictifs, Rodolphe Meister, fils d’une célèbre cantatrice, Christa Meister. Tous trois sont nés à Berlin, se connaissent et se fréquentent, à tel point que le jeune Rodolphe, musicien lui-même, envisage secrètement d’égaler Furtwängler et de le remplacer, si le destin lui sourit. Mais dans ce récit, ce qui est abordé, c’est la question du rapport de l’art et du pouvoir politique. Ainsi, une conversation entre le Führer et le célèbre chef d’orchestre est-elle évoquée au début du roman : les divergences sur le pouvoir de la musique apparaissent : pour Hitler, c’est faire de la musique le « guide de tout un peuple » ; pour Furtwängler, la musique agit autant sur la raison que sur les sentiments. A la fin de cette conversation, le maestro trouve Hitler commun et médiocre : « Cet homme a une multitude d’idées marginales et fort conventionnelles sur l’art. Sa médiocrité m’aurait effrayé si je n’avais pas été persuadé que jamais il ne parviendrait au pouvoir », note-il dans son carnet.
En fait, Xavier-Marie Bonnot ne se contente à aucun moment de décrire Wilhelm Furtwängler comme un homme hors de son temps, un individu isolé complètement inconscient de ce qui se passe autour de lui. Au contraire, il n’ignore pas les persécutions antisémites mises en route par le régime nazi dès sa « prise de pouvoir » : Fritz Busch est arrêté en pleine répétition ; Bruno Walter, d’origine juive, ne peut plus diriger le Gewandhaus de Leipzig. Le jour de l’incendie du Reichstag, Furtwängler se rend compte du subterfuge faisant accuser un communiste hollandais et prétexte à une future répression.
L’auteur éclaire en fait les capacités de la culture à résister à la barbarie. Ainsi, le jour du 3 mai 1935, un concert est donné devant les plus hauts dignitaires nazis parmi lesquels Hitler, Goebbels, et Goering. Le maestro se concentre sur la future exécution de la Neuvième Symphonie de Beethoven, dont le message, un hymne à la fraternité humaine et à la joie, est en complète contradiction avec l’idéologie nazie. Un collaborateur du maestro lui suggère une parade pour ne pas faire le salut nazi : « Tenez votre baguette dans votre main droite, quand vous saluerez. De cette façon, vous n’aurez pas à faire le salut nazi ».
On trouve dans le roman d’autres réflexions sur la musique, sur le pouvoir de la culture, réel ou supposé. La partie fictionnelle du roman est une bonne illustration du pouvoir de l’exemplarité d’un modèle : Rodolphe Meister accède à la maturité, à la maîtrise de son art par la fréquentation du maestro, par des dialogues sur l’interprétation, sur les performances d’autres chefs d’orchestre comme Toscanini. En refermant ce beau roman, les lecteurs attentifs à la problématique des relations entre art et politique éprouveront la sensation marquée qu’une œuvre vient d’être ajoutée à cette thématique et qu’elle sera citée…
Stéphane Bret
Ecrivain et réalisateur de documentaires, Xavier-Marie Bonnot est l’auteur de nombreux romans parmi lesquels : La Dame de pierre (Prix du meilleur roman francophone au festival de Cognac), et Le Tombeau d’Apollinaire (Prix du roman historique des Rendez-vous de l’histoire, de Blois).
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