Les Roses bleues de Ravensbrück, Jeanine Baude (par Philippe Leuckx)
Les Roses bleues de Ravensbrück, Jeanine Baude, Éditions La Rumeur Libre, avril 2021, 80 pages, 15 €
Dédié à nombre de femmes qui ont subi les camps, ici Ravensbrück, et en particulier à sa tante Adrienne, le livre de Jeanine Baude tente un hommage désespéré à toutes celles qui ont souffert des camps nazis et ont « entamé » littéralement leur vie aux griffures des camps de la mort. Parallèlement à ces destins broyés, la poète souligne son propre destin, de souffrante. Elle a connu le cancer et ses affres. Elle chante ainsi à deux tons la destinée des femmes, des blessées, des souffrantes de la vie ordinaire.
La poète sait mieux que quiconque que l’histoire ne se balaie pas d’un coup de déni (comme ces falsificateurs nombreux qui inventent, faussent, mentent sur l’histoire). Baude restitue l’histoire vraie de ces femmes, enfermées dans un camp pour femmes, avec tous les « bleus » de leur histoire. Les voilà traquées, haïes, violentées. Les voilà parquées comme du bétail, prêtes à subir poux, maladies, blessures, faim, viols. Elles sont les « roses bleues », ces roses anéanties, qu’une couleur du bleu de la peau abîmée et meurtrie hisse au destin funeste des victimes, des affligées.
Le camp de Ravensbrück est le symbole certes de tous les autres camps ; y ont souffert, comme ailleurs, les victimes désignées d’un régime scandaleux, raciste, mortifère, sanguinaire. Les poèmes disent avec netteté la condition des exclu(e)s des dictatures honteuses des années trente et quarante :
Claudicantes et blessées. Joyeuses de fierté. Prêtes à mordre, hurlantes et désespérées, à tuer même s’il le fallait, éponge entre les dents, citron amer de la crucifixion dans vos bouches, dans vos veines, vos ovules, vos gènes… (p.13).
Elles avaient connu le plaisir, le désir (que de belles pages sur les premiers désirs d’une femme), l’amour ; elles sont là rassemblées dans les bleus de leurs souffrances, sans rien, sans chaleur, sans sexe, sans amour, rivées à des conditions sanglantes. L’écriture épouse la cadence, le rythme, les battements de ces femmes outragées ; elle s’insinue dans le détail ordinaire, dans l’insistante description des lieux et usages des camps. Les images sont terribles. Guenilles, tonsures, massacres, manques : le poème serre l’humaine condition et ses peurs, et ses tourments, et ses galères.
Le poison d’une histoire qui tente toujours de recommencer émane de ces pages qui dressent un beau tableau de ces femmes méritantes – qui ont accompli tous les combats.
Le poème, une catharsis à tous les maux ? La mémoire reste hélas imprégnée de la terrible odeur des oubliées de l’histoire concentrationnaire.
Le beau livre de poèmes ardents de Baude ressuscite l’histoire, la fait battre de nouveau à nos tempes de lecteur rendu lucide, rendu à sa pleine liberté de conscience : oui le mal a existé, oui, le mal déroge toujours à la bonté du monde.
Philippe Leuckx
Jeanine Baude est une poète française. Elle a multiplié (entre autres chez Rougerie) les volumes de poésie : Ile corps océan ; Oui ; Soudain ; Concerto pour une roche ; C’était un paysage ; Venise Venezia Venessia.
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