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La rentrée littéraire

Les muselés, Aro Saínz de la Maza

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 05 Novembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Roman, Espagne, Actes Noirs (Actes Sud)

Les muselés (El àngulo muerto), septembre 2016, trad. espagnol Serge Mestre, 368 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Aro Sáinz de la Maza Edition: Actes Noirs (Actes Sud)

 

C’est avec une impatience mal dissimulée – mais pourquoi faudrait-il la dissimuler ? – que nous découvrons cette deuxième enquête de l’inspecteur Milo Malart dans une Barcelone toujours aussi inquiétante et fascinante. Le Bourreau de Gaudí, conte noir et baroque, nous avait fait découvrir la démesure de la métropole catalane sacrifiant dévotement ses enfants aux folies architecturales, au tourisme et au profit. Roman de démesure où un véritable art du crime, une esthétique de la mort impitoyablement cruelle et vengeresse, spectaculairement mise en scène, composait des tableaux aussi magiques que cauchemardesques. Accablés de chaleur nous l’avions suivi dans l’atmosphère étouffante de l’été barcelonais. Nous voilà aujourd’hui confronté au froid et à l’humidité qui peut aussi envahir la capitale catalane, celle que les cartes postales et les touristes oublient ou préfèrent ignorer. Une ville qui est aussi une métropole portuaire où plus qu’en d’autres temps la misère, les misères, ont leur place, même si elles se dérobent aux prestigieux monuments, aux débauches architecturales et mercantiles. Misère économique qui depuis quelques années, depuis 2008 au moins, ne cesse de mettre des familles à la rue, misère des politiques plus contaminés par la corruption que par la solidarité la plus élémentaire…

Du sable dans la bouche, Hervé Le Corre

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 04 Novembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Roman, Rivages/noir

Du sable dans la bouche, septembre 2016, 173 pages, 6,90 € . Ecrivain(s): Hervé Le Corre Edition: Rivages/noir

 

Livre policier et historique à la fois, où tous les protagonistes sont empalés dans des évènements liés à L’ETA. Une femme sort de prison, revient à Bordeaux. Le lecteur comprend peu à peu qu’elle a été mêlée à des évènements graves.

« Des femmes courent, suivies d’enfants, les bras étirés par des valises bourrées jusqu’aux serrures, rebondies à crever, là, au milieu des gens, vomissant de l’intimité, mise en pli pendant des heures, encore parfumée d’assouplissant ou de lavande ».

Elle paraît esseulée, mais aussi profondément déterminée.

« Alors peu à peu, l’idée de revenir et de faire ce que quelque chose de béant en elle réclamait chaque jour plus fort a creusé sa fissure imperceptible. Cette évidence a couru comme une vibration mortelle ».

Gestuaire, Sylvie Kandé

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 04 Novembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Gestuaire, octobre 2016, 112 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Sylvie Kandé Edition: Gallimard

 

A l’inverse de son long poème en prose Lagon, Lagunes (Gallimard, 2000), très marqué par le lyrisme à la Césaire, Gestuaire se dégage de toute pesanteur culturelle. Une charge d’inconnu est exposée à l’arrachement – qui se dessine à travers l’incantation, le soliloque poétique qui affirme et nie à la fois. On en retient le souffle coupé qui pourtant garde la force d’expirer l’énigme là où la nuit tente de tout recouvrir.

L’écriture illustre d’ailleurs cette lutte, comme s’il s’agissait là d’un geste désespéré accolé à sa résistance dans ce qui tient du mouvement qui déplace insensiblement des terres vierges vers le paradoxal désert occidental du présent. Sylvie Kandé fait éclater les masques du « je » pour qu’il s’affirme à l’aune d’un passé et de ses peaux dont elle arrache la fixité, l’opacité de leur règne énigmatique.

Le dedans se fraye une issue – sans propension autobiographique si ce n’est de manière allusive – à travers les fissures d’une litanie qui de reprises en reprises s’incruste dans la chair et rebondit sur la peau en de longues vibrations de lumière, comme si le dedans laissait monter la trace et l’ajour d’une existence prisonnière et l’éclat diffracté de son immense évasion qui d’une certaine façon n’a jamais pu se faire.

Des carpes et des muets, Edith Masson

Ecrit par Martine L. Petauton , le Jeudi, 03 Novembre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Les éditions du Sonneur

Des carpes et des muets, octobre 2016, 156 p. 15,50 € . Ecrivain(s): Edith Masson Edition: Les éditions du Sonneur

 

 

L’omerta – autre couleur que celle de « Colomba » – couve et court dans un village – jardins, chemins, géraniums, quelque part en Lorraine, où l’on sait que la trace des guerres n’est jamais loin. Coule un canal verdâtre (qui peut-être s’est pendu, aurait dit Brel). Il y a la canicule, des bières à revendre qu’on lape mi-silence, mi-confidences, un coude appuyé à un vieux comptoir. Touffeur inconfortable, presque insupportable qui tombe sur les personnages à longueur (à langueur ?) de pages tissées, drues comme un tissu de paysan ou de chasseur, juste ce qu’il faut de descriptions précises comme pointe de couteau, et – surtout – de dialogues formidables de justesse et de réalisme. C’est un livre qui parle mais ne bavarde jamais ; on est dans le taiseux et les flashs de la mémoire… dans le nu de la vie, donc.

D’entrée, le nœud : « on a trouvé ce matin dans le canal un sac contenant des os humains de provenance inconnue ».

Le fils de mille hommes, Valter Hugo Māe

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 31 Octobre 2016. , dans La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Métailié

Le fils de mille hommes, septembre 2016, trad. portugais Danielle Schramm, 192 p. 18 € . Ecrivain(s): Valter Hugo Mãe Edition: Métailié

Déjà remarqué pour L’Apocalypse des travailleurs, son premier roman pour lequel il avait reçu le prix Saramago, Valter Hugo Māe revient ici avec un roman prenant, qui nous plonge sans ménagement dans les noirceurs de l’âme humaine ; mais pas les spectaculaires, non, plutôt les noirceurs banales, quotidiennes, les petites et grandes lâchetés, la bêtise commune, qui peuvent provoquer tout autant de malheur et de désespoir autour d’elles. Ce qui surprend, c’est que s’il nous conduit là où meurt tout espoir, c’est pour nous hisser jusqu’à la lumière, nous montrant ce que l’humain peut aussi avoir de plus beau et qui est d’une telle simplicité qu’on se demande vraiment pourquoi cela reste tellement hors de notre portée.

C’est vraiment un grand écart qui est réalisé ici, et Le fils de mille hommes devient une sorte de roman-médecine. Après avoir posé les bases, Valter Hugo Māe nous raconte plusieurs histoires où on découvre les origines, le vécu douloureux, difficile et même sordide des différents protagonistes, puis un fil va venir ensuite coudre ensemble toutes ces histoires. Ce fil passe par Crisóstomo, un petit pêcheur de 40 ans, un homme bon mais désespérément seul. Or, c’est cet immense désir de l’autre, soutenu par la générosité qu’il a en lui, qui va permettre de réunir en une grande famille hétéroclite une bonne partie des personnages malmenés et estropiés de ce roman. Il serait dommage de trop en dire, mais l’essentiel tient en un mot : l’amour. L’amour qui surpasse tout, transforme tout, panse les plaies, rend beau ce qui était laid, dissout les préjugés.