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Critiques

Journaux et Lettres, Tome III 1897-1914, Tome IV 1914-1924, Franz Kafka (La Pléiade)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 28 Juin 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Biographie, En Vitrine, Correspondance, La Pléiade Gallimard

Journaux et Lettres, Tome III 1897-1914 (66 € jusqu’au 31/12/22), Tome IV 1914-1924 (75 € jusqu’au 31/12/22), Franz Kafka, Bibliothèque de la Pléiade, mai 2022 . Ecrivain(s): Franz Kafka Edition: La Pléiade Gallimard

 

Cette précieuse édition des Journaux et Lettres de Kafka propose une re-traduction complète de textes essentiels dans l’œuvre du maître praguois. Exercice très délicat, s’agissant de restituer en français des écrits en allemand, mais venant d’un homme qui n’est pas un germanophone natif, dimension souvent oubliée mais qui pose néanmoins de vraies questions aux traducteurs car Kafka n’était pas toujours sûr de son allemand. Son génie intuitif lui permettait de toucher juste, de trouver la formule forte, la nuance délicate, mais parfois au prix de quelques torsions linguistiques. Alexandre Vialatte, le traducteur historique de Kafka pour Gallimard, se laissait souvent piéger et s’affranchissait régulièrement du texte original, avec certes talent, mais un peu de désinvolture. Le germaniste Jean-Pierre Lefebvre dirige ici une équipe de sept traducteurs et le résultat de ce travail titanesque est formidable, à la fois précis et d’une grande élégance.

L’Aube, Ramón Gómez de la Serna (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 23 Juin 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Espagne, Récits, La rentrée littéraire

L’Aube, Ramón Gómez de la Serna, éd. Vagabonde, mai 2022, trad. espagnol, Jacques Ancet, 118 pages, 16 €

 

« L’aube est l’heure de l’ouïe fine ».

« L’aube arrose les rues d’une poussière de siècles ».

« À l’aube le monde devient une nébuleuse primitive… C’est pourquoi on éprouve un vertige cotonneux, incompréhensible, avec perte de connaissance…, et puis on récupère tout ».

Comme l’aube qui inspire ce gracieux petit livre, Ramón Gómez de la Serna a l’ouïe fine et l’œil affuté. De la fenêtre de la chambre qu’il occupe à Paris, boulevard Saint-Michel, durant l’hiver 1912, il assiste à la naissance de l’aube, d’un monde, et à celle de ce livre. L’Aube est un livre qui s’éveille, comme la rue que l’espagnol espiègle regarde, un nouveau monde s’éclaire, et il en saisit de quelques mots ou de quelques phrases, l’étrange réalisme.

Reconnaître le faux, Umberto Eco (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 22 Juin 2022. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Grasset, Italie

Reconnaître le faux, mars 2022, trad. italien Myriem Bouzaher, 64 pages, 6 € . Ecrivain(s): Umberto Eco Edition: Grasset

 

Dans l’œuvre du sémioticien qu’était Umberto Eco, la question du faux est centrale, ceci depuis au moins son Traité de sémiotique générale (1975) – d’ailleurs, l’auteur le mentionne lui-même dès les premiers mots de la présente conférence : il y disait que « nous devrions considérer comme signe tout ce qui peut être utilisé pour mentir ». Mais il précise aussitôt, nuançant, et cela est d’importance à toute époque : dire le faux n’est pas mentir, ni falsifier, et mentir n’est pas falsifier. Néanmoins, le faux est bel et bien au centre de ses préoccupations, comme le sait quiconque a lu Le Nom de la Rose (1980) ou les essais réunis en français sous le titre La Guerre du faux (1985) – le faux, parce que peut-être la falsification présente un rapport bien plus biaisé à la vérité que le mensonge.

L’argument de vente du présent opuscule est bien sûr lié à l’actualité : à l’époque des « fake news », relire Eco est indispensable. À ceci près que celui-ci inciterait plutôt à relire Machiavel, Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Bacon, Benedetto Croce ou Baltasar Gracián – mais pas Kant, du moins dans le présent contexte, dû à « la capacité que ce grand homme avait de dire de temps en temps des âneries ».

D’os et de lumière, Mike McCormack (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Juin 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Points

D’os et de lumière (Solar Bones, 2016), trad. anglais (Irlande) Nicolas Richard, 275 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Mike McCormack Edition: Points

 

Nul point, de bout en bout, une phrase unique qui serpente, s’enroule, revient sur elle-même, se déploie de nouveau, se rompt, reprend, va crescendo puis descend, métaphore d’une vie d’homme, volonté d’un auteur d’embrasser tout ce qui la compose, jusqu’au moindre détail, projet panoptique qui se refuse à laisser au hasard la moindre nuance. Tel est ce roman d’un homme – le narrateur – qui se souvient dans un flux de mémoire intense qui le ramène aux sensations même éprouvées alors. Capturer le temps passé dans les mailles de la phrase, lui donner son épaisseur réelle, le restaurer dans le présent, c’est la folle aventure de ce roman puissant et captivant.

La phrase de McCormack se déploie aussi comme une tentative de capter l’histoire particulière dans son articulation à l’univers. Marcus Conway, le narrateur, n’est pas seulement ingénieur du bâtiment par profession, il l’est aussi par invasion de son être : rien, ni objet, ni fait, ni affect, n’échappe à sa passion de la construction, à sa conception du monde qui veut que tout élément soit forcément un morceau d’un tout, jusqu’au grand tout.

Sens d’ssus d’ssous, Œuvres romanesques (2010, 2020), Patrice Trigano (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 16 Juin 2022. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Editions Maurice Nadeau

Sens d’ssus d’ssous, Œuvres romanesques (2010, 2020), mars 2022, 884 pages, 28 € . Ecrivain(s): Patrice Trigano Edition: Editions Maurice Nadeau

Sur le modèle de La Pléiade, les éditions Maurice Nadeau ressortent en un précieux volume sur papier Bible de 900 pages la série des œuvres romanesques de Patrice Trigano publiées de 2010 à 2020. L’ensemble, introduit par une riche préface de Sarah Chiche, recueille, tenons-nous bien, cinq romans dont deux ont été recensés dans les pages de notre magazine :

La Canne de saint Patrick

Le Miroir à sons

L’Oreille de Lacan (recension de Philippe Chauché en 2015)

Uburébus

L’Amour égorgé (ma recension en 2020)

La Canne de saint Patrick

Roman consacré à Artaud.