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Critiques

La couleur de la nuit, Madison Smartt Bell

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 21 Octobre 2011. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Actes Sud, La rentrée littéraire

La couleur de la nuit (Color of night) (2011) 240 p. 22 € Traduit de l’américain par Pierre Girard . Ecrivain(s): Madison Smartt Bell Edition: Actes Sud

 

Mettons de côté ce titre, La couleur de la nuit (Color of night en VO), le même que celui d’un mémorable nanar avec Bruce Willis et Jane March. Titre aussi un peu bateau, aux allures de déjà vu et qui ne rend pas tout à fait compte de la teneur de ce petit joyau noir, très noir.

Les attentats du 11 septembre 2001 font replonger Mae dans son passé. Devant sa télé, elle reconnaît Laurel, son amour de jeunesse, avec laquelle elle a perdu contact depuis plus de trente ans. Elle se passe dès lors en boucle les images de l’apocalypse new-yorkais et ne songe qu’à retrouver son ancienne amie.

Les images de Laurel réveillent également la mémoire de Mae. Elle se rappelle cette époque flower power, au moment où les deux femmes s’étaient rencontrées. Elles avaient finies par se retrouver membres d’une secte, dirigée par D, « le visage de Dieu parmi nous », « notre père, notre mère à tous ». Entre deux partouzes et trips hallucinatoires, à ne plus savoir distinguer la réalité, ni qui est qui, ils partaient dans des virées meurtrières ne rappelant que trop celles de Charles Manson et de sa bande, comme le meurtre de Sharon Tate, la femme de Roman Polanski, alors enceinte.

D'un pays sans amour, Gilles Rozier

Ecrit par Anne Morin , le Vendredi, 21 Octobre 2011. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Récits, Grasset, La rentrée littéraire

D’un pays sans amour, 439 pages, 2011, 21,50 € . Ecrivain(s): Gilles Rozier Edition: Grasset


A Rome, dans son palais, Sulamita, une très vieille dame, vit volontairement recluse dans quelques pièces, hors du temps. Elle règne sur une bibliothèque dont elle a patiemment collecté les pièces, des archives, des livres. Peut-être ce que Claudel aurait appelé des « documents démantibulés ». Elle est la mémoire de ce pays perdu, le Yiddishland d’où a rayonné entre deux guerres à Varsovie la plus haute poésie. Cette langue immémoriale, le yiddish, rejaillissant à travers les œuvres telle une source inspirée, et inspiratrice.

A Paris, un jeune orphelin Pierre, trouve chez un bouquiniste une revue illustrée par Chagall où figure un écrit d’un certain Uri-Zvi Grinberg. A la recherche de ses origines, désormais seul au monde avec un nom, celui de sa grand-mère polonaise, il entre en correspondance avec Sulamita, et ils se rencontrent dans ce qu’elle appelle son « palais de mémoire ».

Entre la vieille dame et le jeune homme s’ouvre une histoire d’amour et de correspondances : elle retrouve en lui Ezra, l’amour perdu de sa jeunesse, et lui Anna, sa grand-mère.

Les vaches de Staline, Sofi Oksanen

Ecrit par Paul Martell , le Jeudi, 15 Septembre 2011. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Stock, La rentrée littéraire

Les Vaches de Staline, Stock La Cosmopolite, 524 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Sofi Oksanen Edition: Stock

Après l’énorme succès obtenu par Purge l’an dernier, les éditions Stock publient l’un des précédents livres de Sofi Oksanen, paru initialement en 2003, Les Vaches de Staline.

Les vaches de Staline, c’est ainsi que les Estoniens déportés en Sibérie désignèrent les maigres chèvres qu’ils trouvèrent là-bas pour se moquer de la propagande soviétique qui assurait que le régime produisait des vaches exceptionnelles.

« La vache de Staline, c’est une chèvre ». Une chèvre toute maigre, comme Anna, une brindille de quarante kilos qui souffre de troubles alimentaires. Anna ne sait pas manger. Elle est boulimarexique, c’est-à-dire qu’elle est à la fois boulimique et anorexique.

Pour soulager son ventre « interminablement avide de sucreries », elle ingurgite des quantités astronomiques de nourriture, de quoi nourrir un régiment pendant plusieurs jours.


« Je me suis mise à mesurer le temps en kilocalories », dit-elle.


Maître des Brumes, Tomi Ungerer (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Mercredi, 31 Août 2011. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Jeunesse, L'école des loisirs

Maître des Brumes, Tomi Ungerer, Éditions L’école des loisirs, Littérature jeunesse, 2013, trad. anglais, Florence Seyvos, 48 pages, 13,70 € Edition: L'école des loisirs

 

À plus de quatre-vingt-un ans, Tomi Ungerer, dont le talent protéiforme n’a pas pris une ride, signe, avec Maître des brumes, son dernier album, traduit de l’anglais par Florence Seyvos et publié par L’école des loisirs.

La dédicace nous indique que ce conte est d’abord un hommage à l’Irlande, le pays de sa femme, où l’auteur vit depuis quelques années et dont l’âpre beauté, faite de grisaille, de confins écorchés, est parfaitement rendue par son inimitable coup de crayon : « Ce livre est dédié à l’Irlande et à tous les gens qui nous ont accueillis à cœur ouvert ». – Un pays où la tourbe fait les meilleurs whiskeys, où la Guinness coule à flot, où la musique et la bonne humeur vont bon train, si l’on en juge à l’avant-dernière page qui croque sur le vif une scène habituelle de pub de village. Le dessinateur s’est plu, en effet, à multiplier les scènes de genre en restant au plus près de ce qui constitue les travaux et les jours des gens de peu : récolte de la tourbe que l’on débite en briquettes pour le feu, gardiennage des moutons sous l’œil bienveillant d’un dolmen, filage et ravaudage des filets dans l’humble chaumière familiale…

Sonate cartésienne, William Gass

Ecrit par Yann Suty , le Samedi, 06 Août 2011. , dans Critiques, Les Livres, USA, Nouvelles, Le Cherche-Midi

Sonate Cartésienne (Le Cherche Midi, Collection LOT 49, 20 €) . Ecrivain(s): William Gass Edition: Le Cherche-Midi

Deux ans après la publication française de son monumental Tunnel, résultat de près de trente ans de travail, William H. Gass revient avec un recueil de quatre longues nouvelles comme autant de mini romans. Il y est question d’une femme extra-lucide ; d’un comptable itinérant spécialiste des bidouillages qui tombe sous le charme d’une chambre d’hôtes ; d’une vieille fille amatrice de poésie et tueuse de mouches ; d’un homme devenu un orfèvre dans l’art de la vengeance secrète. Autant de portraits de solitudes et de personnages dont l’existence est faussée par leur perception de la réalité.

Le titre du recueil, Sonate cartésienne, pourrait annoncer un mélange de musique et de philosophie, d’émotion et la raison. Et de musique, il en est bel et bien question, non pas au niveau des sujets abordés mais d’une écriture que Gass compare lui-même à un « thème musical ». Les variations de rythmes alternent, la phrase se fait ample, enveloppante, s’étire sur trois pages avant de brutalement devenir plus saccadée et de multiplier les coupures.

Ainsi qu’il l’affirme, William H. Gass fait la leçon. Et il la fait bien. Il n’est pas du genre à jouer les faux modestes (« Mon Dieu, rappelez-vous que je suis censé penser, sentir et voir pour tout le monde – vous vous en rendez compte ! – c’est ça le vrai boulot de l’auteur, et tout ce temps-là le Christ roupille dans son fauteuil »). Il a parfaitement conscience de son talent et il entend le démontrer en s’amusant avec le lecteur (avec des phrases du type : « Le lecteur attentif aura remarqué »), en disséminant des néologismes ici et là ou en faisant varier la narration de points de vue. Bref, n’est-il pas un excellent écrivain pour tous ceux qui veulent écrire ?