Claude Simon
Nul ne nous éclairera mieux sur Claude Simon que Claude Simon lui-même. Ces quelques phrases prononcées à Stockholm lors de la remise du prix Nobel, nous renseignent en effet à la fois sur sa vie et son œuvre :
« Je suis maintenant un vieil homme, et, comme beaucoup d'habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j'ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde ... et cependant, je n'ai jamais encore, à soixante-douze ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est comme l'a dit, je crois, Barthes après Shakespeare, que " si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien " — sauf qu'il est. »
Sa vie :
Né à Madagascar le 10 octobre 1913, Claude Simon, après la mort de son père en 1914, est élevé par sa mère à Perpignan qui décède elle aussi en 1925. Son éducation est alors prise en charge par sa grand-mère maternelle et son oncle, sous la tutelle d'un cousin germain. Sa vie était, comme il le souligne lui-même, très mouvementée : il participe à la Guerre d’Espagne et combat du côté des républicains entre 1934 et 1935. Au début de la seconde Guerre mondiale, il a été mobilisé et s’est fait prisonnier par les allemands en Juin 1940. Il s’évade ensuite et revient à Perpignan. Après la guerre, il devient viticulteur à Rossignon et se consacre essentiellement à son œuvre.
Son œuvre :
Au début de sa vie, en 1931, il a suivi des cours de peinture à l’académie d’André Lhote. Cet amour de l’art visuel marquera son œuvre future. Il écrit son premier roman, Le tricheur en 1937. Il reprend l’écriture, après la guerre, avec La Corde raide en 1947. Avec La Route des Flandres, il obtient le prix de l'Express, puis le prix Médicis avec son roman Histoire, en 1967. Il s’est vu discerné le prix Nobel de la littérature en 1985. Son œuvre incontestablement iconoclaste a été classé dans la mouvance du Nouveau Roman.
Son écriture :
Les thèmes récurrents de ses romans portent l’emprunte de sa propre vie : la mort de la mère, la guerre, l’embuscade, le chevauchement etc. À l’image de sa vie, son écriture n’est pas moins « mouvementée ». En bon élève de Marcel Proust, il lui emprunte l’importance de la Mémoire à laquelle il confie l’agencement des évènements et de son écriture en renonçant définitivement à la logique chronologique et linéaire. Dans cet effort de transcrire tout ce que la mémoire lui dicte, il en résulte une écriture digressive et en apparence incohérente, puisque sa seule logique est interne et propre à son écrivain. Les phrases incomplètes, les parenthèses, les trois points de suspension témoignent ainsi de la volonté de synchroniser la remémoration avec l’écriture. La successivité classique des évènements fait place à la simultanéité entre le présent de l’écriture et le présent de la remémoration. S’explique dès lors l’abondance des participes présents que Claude Simon admire dans l’ « ing » anglais chez un autre maître : Faulkner.