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Articles taggés avec: Abraham Patrick

Quinze notules sur Jean Lorrain (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 26 Mars 2020. , dans La Une CED, Ecriture

 

« La vie est une tombe au détour d’un sentier »

J.L. (épitaphe composée par L. lui-même en 1886)

 

1- Lire, c’est mettre en rapport, c’est relier, c’est raccorder, parfois de façon hasardeuse ou téméraire. Il n’y a pas de littérature sans intertextualité. Or l’intertextualité (me) rend heureux.

2- Relisant Monsieur de Phocas de mon cher Jean Lorrain, je pense à Baudelaire, au Huysmans d’A Rebours et au Wilde du Portrait de Dorian Gray, auxquels Lorrain doit tant. Je pense à Gide : Thomas Welcôme est une sorte de cousin précurseur du Ménalque de L’Immoraliste. Mais Gide, lui, comme Huysmans, s’est sorti de l’ornière décadente où Lorrain est resté embourbé. Je pense à Proust avec qui il se battit en duel.

Sur Azur noir d’Alain Blottière - Histoire chancelante (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 28 Février 2020. , dans La Une CED, Ecriture

 

Il est rare qu’à seize ans, dans un été parisien caniculaire, on craigne de devenir aveugle, des filaments, des taches, des voiles sombres obscurcissant la clarté désolante du monde. Il est rare qu’un malicieux hasard vous fasse habiter 14 rue Nicolet dans l’immeuble même (1) où M. Paul Verlaine, communard pardonné et poète, Mme Mathilde Verlaine née Mauté et Mme Mauté de Fleurville ont accueilli, fin septembre 1871, M. Arthur Rimbaud, poète lui aussi, et de quelle façon ! et fugueur. Il est rare (on s’appelle Léo et on commence à écrire des vers parnassiens dans lesquels se distingue la curieuse influence d’Olivier Larronde) qu’on voie Verlaine trembler dans son salon puis rejoindre quelques jours plus tard le trublion ardennais dans la lingerie (c’est à présent, nouveau splendide hasard ! la chambre de notre Léo) où on lui a dressé un lit et où une poitrine et un dos imberbes sont étreints et caressés. Pour Léo, ange pasolinien à sa manière, une voisine qui a l’âge de sa mère et dont l’appartement correspond à la salle à manger des Mauté puis son professeur de français caresseront et étreindront tour à tour sa nudité lisse.

Histoires confidentielles, Pierre Herbart (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 29 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Histoires confidentielles, Pierre Herbart, Grasset Cahiers rouges

 

Pour Catherine Gide (1923-2013).

« L’aristocratique Pierre Herbart et moi-même »

 

Gilbert Lely

« L’escalier », « Castor » et « Peau d’ange » sont trois nouvelles de Pierre Herbart publiées chez Grasset en 1970 dans le recueil Histoires confidentielles puis rééditées dans « Les Cahiers rouges » en 2014. Ce sont peut-être les plus belles pages de cette œuvre si singulière et, pour mon bonheur, si secrète. Herbart, de père bourgeois tombé volontairement dans la clochardise, compagnon de voyage de Gide, mari de la mère de la fille de Gide, gendre de la Petite Dame donc, ex-protégé de Cocteau à qui Gide le chipa, journaliste engagé en Indochine, en Afrique noire, en Espagne (1) et en U.R.S.S., « grand résistant », militant anticolonialiste dépourvu de la moindre illusion idéologique, n’est jamais aussi convaincant, aussi émouvant dans sa désinvolture, aussi profond sous la légèreté apparente que lorsqu’il parle de lui.

La phrase de monsieur Proust – Histoire dévote (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

 

La phrase de monsieur Proust est dense, lente, nombreuse. Elle ressemble au mouvement de ses fines mains dont s’est souvenue Céleste Albaret, à sa conversation dont nous avons tant de témoignages. Mais elle n’a en vérité aucun rapport avec ses mains ou sa conversation : n’écrivent comme ils parlent que les écrivains médiocres – plût au Ciel que nous parlions quelquefois comme nous écrivons. On peut la comparer à une promenade en forêt quand s’ouvrent de nouveaux sentiers ; à une marche sur une crête d’où s’aperçoivent des trouées où le vent plonge. Il arrive qu’on s’y perde. On aurait scrupule à l’interrompre. On ne la comprend pas toujours. On lui demande alors de s’expliquer, de se répéter, ce à quoi elle renâcle, aussi polie soit-elle. Elle est à l’occasion méchante. Elle n’est pas systématiquement gaie. On admire à d’inégales fréquences ses lointains mélancoliques, ses gloussements moqueurs. Comme les maisons de nos vieilles tantes dans nos enfances imaginaires, elle a des entresols et des paliers qui demeureront inexplorés. Il y a des pièces pour y accueillir nos camarades, d’autres pour y boire un tilleul, d’autres encore pour y dormir ou s’y livrer à des amusements réprouvés par la Morale. Ses odeurs de fleurs séchées, de pré humide, de cave, de grenier provincial, d’intérieur d’église, de choses anciennes que l’on n’a pas aérées depuis des mois comblent ou rebutent.

Eloge des voix douces (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

Eloge des voix douces, du chuchotement.

Eloge des chemins du bord des fleuves.

Eloge des pas dans la neige.

Eloge du silence en forêt quand les sentiers bifurquent ou se confondent.

Eloge de la rouille, de la mousse, des palissades lépreuses, des façades ravagées où cent tableaux intriguent.

Eloge d’une route pavée où l’herbe regimbe.

Eloge d’un cimetière à l’abandon près d’une église dont on a égaré les clefs.

Eloge d’un parc dont il faut escalader les grilles.

Eloge des ruines tenaces, des quartiers poussiéreux, des squares blafards.