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Articles taggés avec: Abraham Patrick

Pour Sandro Penna (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 03 Décembre 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Italie

 

« Amore, amore,

Lieto disonore »

 

La poésie de Sandro Penna a la candeur d’un rivage maritime en juillet quand le jour se lève ; d’un compartiment de troisième classe ; d’une place urbaine vers onze heures du soir, non loin d’une pissotière et d’une gare ; d’un sentier poudreux entre Pérouse et Foligno ; d’une fenêtre qui s’allume dans un village au crépuscule : une ombre glisse, s’arrête, observe, s’estompe.

Les strophes sont courtes le plus souvent ; les rimes irrégulières ou classiquement disposées : l’extrême singularité derrière la banalité se cache.

Des lieux, des situations se répètent de texte en texte, de recueil en recueil. Penna ne cherche pas à se renouveler, étant lui-même une exception suffisante, mais à cerner, éterniser une obsession.

Sur Le Funambule de Jean Genet (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 08 Octobre 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Théâtre

 

Notules

 

Relisant Le Funambule de Jean Genet, je pense à une troupe d’artistes ambulants (acrobates, jongleurs, dresseurs de singes) aperçue au bord d’une route à Gwalior, dans l’Etat du Madhya Pradesh (Inde), tandis que je rentrais d’une après-midi passée dans le fort qui surplombe la ville. Une tradition, m’avait-on dit, voulait que les membres de cette troupe, ou plutôt de la caste à laquelle se rattachait la troupe, se travestissent lorsqu’ils se présentaient au public. Qu’en était-il, ce jour-là ? Ces fillettes, une sorte de jarre posée sur la tête, étaient-elles des garçonnets ? Quel trouble alors en elles, en eux, face à la maigre assistance ? Ou cet échange, si je n’avais pas rêvé ce qu’on m’en avait raconté, parce que banal, leur était indifférent ?

Je pense à un vieil homme dansant tout seul en écoutant Oum Kalthoum dans l’arrière-salle d’un café de Tunis, non loin de la Porte de France, vers 1996. Il avait l’âge qu’aurait eu Abdallah B., puisque c’est pour Abdallah B. que fut écrit Le Funambule.

Sur une nouvelle de Julio Cortázar (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 09 Juin 2021. , dans La Une CED, Ecriture

« L’écriture est une science où l’on ne sait jamais de quoi l’on parle ni si ce qu’on dit est vrai »

Jean Ristat, Du coup d’Etat en littérature (1970)

1) Tu n’es ni argentin ni uruguayen ; tu n’es pas né à l’embouchure du Rio de la Plata ; tu ne te targues d’aucune ascendance gaucho. Mais tu lis L’Autre ciel, de Julio Cortázar.

2) Dans L’Autre ciel, il est question de passages. Tu aimes les passages (une de tes tantes habitait rue de Choiseul, dans ton enfance, avant de déménager à Vincennes) ou de façon plus précise la littérature des passages : Baudelaire revu par Benjamin, Céline, Aragon, Julien Green. Tout passage est un hétérotope ; dans tout passage, nous changeons d’échelle, de climat, de ciel. Syntagmes de la flânerie : vitrines ; enseignes ; marquises ; café ; petit théâtre à l’étage ; heureux détours ; rôdeurs-apaches aux yeux gris-vert ; cartes et estampes ; constellation des voûtes ; miroir qui renvoie, narquois, à quelqu’un d’autre que soi-même. On n’échappe pas au monde marchand dans un passage ; mais la marchandise s’y trouve (chargée d’ombre ou lavée de lumière pluvieuse ; dépistée dans un couloir, en haut d’un escalier ; dissimulée dans une arrière-boutique) comme repolie, réagencée, réinventée avec subtilité. Tu regrettes que l’ère des passages soit, sinon dans une logique touristique, révolue.

Meurtres à Mahim, Jerry Pinto (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 07 Mai 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Asie, Roman

Meurtres à Mahim, Editions Banyan, mars 2021, trad. anglais (Inde) Patrice Ghirardi, 230 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Jerry Pinto

 

On peut lire Meurtres à Mahim, le deuxième roman de Jerry Pinto à être traduit en français après Nous l’appelions Em (Actes Sud, Lettres indiennes, 2015), comme un polar particulièrement bien ficelé : qui a tué Lachhman S. Parthusta, alias « Proxy », jeune homme d’une vingtaine d’années dont on a retrouvé le corps poignardé et mutilé (un rein grossièrement prélevé) près des urinoirs publics de la gare de Matunga, dans une banlieue de Bombay ? Est-ce un assassinat homophobe, un règlement de compte, une vengeance, une affaire de trafic d’organes ? Peter Fernandes, journaliste d’investigation à la retraite, avec l’aide de l’inspecteur de police Shiva Jende, un camarade d’études, va mener l’enquête. Rebondissements, fausses pistes, faux suicide, nouveaux meurtres, dénouement à la fois surprenant et prévisible tiendront en haleine jusqu’à l’ultime page selon les conventions du genre.

Noir diadème, Gilles Sebhan (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 01 Avril 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Polars, Roman, Le Rouergue

Noir diadème, Gilles Sebhan, janvier 2021, 192 pages, 18 € Edition: Le Rouergue

 

Gilles Sebhan, à cinquante-quatre ans, est l’auteur d’une œuvre variée, déjà importante et, osons le dire (les écrivains français contemporains méritant ce qualificatif ne sont pas si nombreux), inconfortable – comme en témoignent ses essais biographiques sur Genet (Domodossola, le suicide de Jean Genet, Denoël, 2010), Mandelbaum, et surtout Duvert à qui il a consacré deux livres (Tony Duvert, l’enfant silencieux, Denoël, 2010, et Retour à Duvert, Le Dilettante, 2015). Il a raconté dans un récit prenant son séjour en Egypte après la chute de Moubarak : si on met en parallèle sa Semaine des martyrs (Les Impressions nouvelles, 2016) et les Rêveurs d’Alain Blottière (Gallimard, 2012), on a une fine compréhension des déceptions et trahisons postrévolutionnaires sur l’autre rive de la Méditerranée. Salamandre (Le Dilettante, 2014), dont l’action se déroule dans le milieu des sex-shops parisiens et de la prostitution masculine, ne peut pas non plus laisser indifférent.

Noir diadème est un polar, le quatrième volume d’une tétralogie – pour l’instant – ayant pour titre général Le Royaume des insensés (ce titre s’éclaire peut-être dans une phrase du dernier chapitre) où réapparaît le personnage du lieutenant de police Dapper, flic scrupuleux mais sans ambitions de carrière à la vie personnelle tourmentée, c’est le moins qu’on puisse dire – mais il faut lire le cycle dans son ensemble pour le saisir.