Je viens de refermer ce livre d’une noirceur incandescente. Les mots lacèrent la page, sondent « l’ampleur des fissures invisibles », des « séismes silencieux ». Un long voyage parmi les ombres, au milieu des fosses et de leur affreux silence, avec, au bout de la nuit, des points de lumière. Dans ce monde de lésions, d’entailles, de mépris où l’amour étouffe en silence, les tiges métalliques affrontent l’injustice, percent le sol pour faire respirer les morts engloutis par les terres voraces. – Terres de douleurs et de cris, perdues dans l’immensité de l’absence. Les mots qu’on lit sont des lambeaux de chair découpés au scalpel, qui forment une « grammaire des suppliciés ». Un monde très vaste avec sa « géographie, ses vastes étendues, ses reliefs et ses tracés », fait de « marbrures de sang », de « marques azurées », de « lacérations », de « brûlures », d’« épanchements liquidiens », de « perforations », de « dislocations ». Les corps écorchés, torturés, triturés, disloqués, rappellent les momies grimaçantes de Guanajuato, les tableaux de Grünewald, Francis Bacon, Vladimir Velickovic… L’horreur est comme magnifiée par la beauté incantatoire des phrases, elles-mêmes fragmentées pour être au plus près de la douleur.