Nous nous aimions, Kéthévane Davrichewy (par Stéphane Bret)
Nous nous aimions, Kéthévane Davrichewy, août 2022, 145 pages, 19 €
Edition: Sabine Wespieser
Le titre même du roman fait appel au sentiment de nostalgie et de durée, par l’emploi de l’imparfait. Kéthévane Davrichewy décrit dans ce roman sensible le parcours de deux sœurs, Kessané et Tina, qui se sont établies en France mais retournent régulièrement en Géorgie passer leurs vacances sur la terre de leurs ancêtres caucasiens. Leur mère, Daredjane, tient à la préservation de ce lien, de ces racines ; elle espère que son époux, Tamaz, les rejoindra dans leur résidence du Vésinet, pour y couler des jours heureux avec elle et ses filles.
C’est la force et l’omniprésence des souvenirs de l’enfance et de l’adolescence qui marquent de leur empreinte les vies de Kessané et de Tina. La première se confronte aux premières épreuves humaines, teste les qualités et défauts de son propre corps : « Elle fait l’apprentissage de la solitude. Elle y tient et aime de plus en plus s’endormir seule. (…) Elle s’examine sans complaisance, de la tête aux pieds. Elle aime bien ses épaules, pas ses bras. Ses jambes, pas ses pieds. Ses seins, ça dépend des jours et des poses qu’elle prend ».
Quant à la mère, Daredjane, elle éprouve intensément le bonheur de revenir à Tbilissi, s’efforce de fixer dans sa mémoire ces souvenirs de ses grands-parents, de se remémorer les recettes de cuisine du Caucase réalisées par Bébia, une amie de la famille. Daredjane craint tout simplement que tout cela ne s’arrête, ne disparaisse, conformément à une loi humaine commune et inexorable : « Kessané se fait pleurer dans le noir de sa chambre en imaginant l’annonce de la disparition, c’est trop dur. Elle ne peut se résoudre à cette perte. Les Français ne doivent pas avoir la même relation à leurs grands-parents ».
Les autres composantes de la nostalgie de l’enfance sont aussi très délicatement traitées dans ce roman ; elles coexistent avec des données historiques : la fin de l’Union Soviétique, dont la Géorgie était une république, la guerre séparatiste de l’Abkhazie, le rôle de la diaspora géorgienne en France, des amours de Daredjane.
Kessané, devenue journaliste, se retrouve par hasard au Vésinet devant l’ancienne demeure de leur famille, mais, au lieu d’entrer dans cette maison, elle fait encore une fois appel à la puissance des souvenirs, ces auxiliaires indispensables de la connaissance : « Elle revoit la clarté surnaturelle de l’aube en Abkhazie. (…) Le paysage à perte de vue est figé dans sa mémoire comme une peinture. (…) Le mal de l’Abkhazie la poursuivra, comme il poursuivra sa mère et sa sœur, et elles sont incapables de se consoler mutuellement ».
Nous nous aimions nous délivre un beau message subtil et délicat : tirer parti du trésor que constituent les souvenirs, ceux-ci ayant peut-être des chances de nous conduire vers des instants d’éternité…
Stéphane Bret
Kéthévane Davrichewy est née à Paris au sein d’une famille géorgienne. Nous nous aimions est son cinquième roman chez Sabine Wespieser éditeur.
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