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Recensions

La veuve enceinte, les dessous de l'histoire, Martin Amis

Ecrit par Yann Suty , le Dimanche, 19 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Gallimard

La veuve enceinte, Les dessous de l’histoire (The Pregnant Widow), trad. de l’anglais (R.U.) par Bernard Hoepffner, Gallimard, Janvier 2012, 540 p. 27 € . Ecrivain(s): Martin Amis Edition: Gallimard

A réserver aux amateurs. Avec La veuve enceinte, Martin Amis fait du Martin Amis. Il y a là tout ce pour quoi ceux qui l’aiment, l’aiment. Mais aussi tout ce qui peut aussi les exaspérer. Alors, quant aux autres, qui ne connaissent pas l’auteur ou veulent le découvrir… Mais qu’importent les autres !

Martin Amis pousse cependant cette fois-ci le bouchon un (petit) peu trop loin et tombe ainsi (presque) dans une caricature de lui-même. Pour le meilleur, mais pas seulement. La veuve enceinte tire un peu trop à la ligne, frise parfois la complaisance. Les dialogues abondent et auraient gagné à être raccourcis, tout comme le livre, globalement. Mais pour les fans, il y a toujours cette verve satiriste, cet humour dévastateur qui fait mouche. Des situations décalées, des phrases percutantes, et une lucidité superbement cruelle.

Le personnage principal s’appelle Keith Nearing.

Keith… voilà un prénom qui fait jubiler tout admirateur qui se respecte de l’écrivain anglais. Un prénom qui ne peut qu’évoquer cet autre Keith, ce sublime salopard joueur de fléchettes de Keith Talent, le héros de London Fields, l’un des plus grands (si ce n’est le plus grand ?) roman amisien, l’un des monuments de la littérature contemporaine.

La Barbarie, Jacques Abeille

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 16 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Roman, Attila

La Barbarie, Jacques Abeille, octobre 2011, 123 p., 15 € . Ecrivain(s): Jacques Abeille Edition: Attila

Le volume précédent du Cycle des contrées avait laissé le narrateur sur le point de retrouver sa ville natale de Terrèbre, après son long périple au pays des jardins statuaires à la suite des barbares. À sa grande surprise, l’invasion barbare semble n’avoir pas laissé de traces à Terrèbre : dans cette société nouvelle désireuse d’oubli, le professeur a bien du mal à retrouver sa place. Très vite, incarnant un passé gênant pour ce qui se révèle une dictature feutrée, il devient un élément perturbateur qu’il va s’agir d’effacer, de reléguer au plus obscur de la cité.

L’atmosphère kafkaïenne de ce bref appendice aux Barbares n’est pas sa partie la plus originale : une fois encore, on est plutôt fasciné par les symétries et les renversements sans fin qu’établit savamment Jacques Abeille autour du livre central du cycle que sont Les Jardins statuaires. Ce livre d’un voyageur anonyme, que le professeur a traduit dans la langue de Terrèbre, hante le nouveau volume et cause la perte de son traducteur accusé d’en être l’auteur. Plus discrètement, les statues connaissent un nouvel avatar. La sculpture, dissimulée aux profanes, comme dans Les Jardins statuaires, est cette fois l’œuvre d’une femme, et la déchirure qui ouvre leur forme est à la fois un symbole érotique et le symbole esthétique du fonctionnement d’une œuvre « à secrets », dont le « creux d’ombre » est l’âme (p. 65).

De bons voisins (Acts of Violence), Ryan David Jahn (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 09 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, Polars, La Une Livres, USA, Roman, Actes Noirs (Actes Sud)

De bons voisins (acts of violence), Actes Sud Actes noirs. Décembre 2011. Trad. de l’anglais (USA) par Simon Baril. 270 p. 21 € . Ecrivain(s): Ryan David Jahn Edition: Actes Noirs (Actes Sud)


Tiré d’un fait divers réel, ce roman est conçu comme une pièce de théâtre noire. « De bons voisins » se déroule autour d’une scène centrale : le meurtre, effroyablement violent, de Kat dans la cour de son immeuble. Autour, comme le choeur des tragédies antiques, les « voisins » qui regardent depuis les appartements, immobiles dans leur propre misère, leur peur, leur lâcheté, la perte de toute humanité. Aucun ne bouge.

La plume de Ryan David Jahn, dépouillée, sans effets de style ce qui rend encore plus insoutenable la réalité rapportée, se déplace alors comme une caméra dans un long travelling tournant autour de la cour centrale. Le décor fait irrésistiblement penser au célébrissime « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock. De chapitre en chapitre, le lecteur se déplace d’appartement en appartement, découvrant peu à peu les abîmes existentiels des habitants, torturés par la pauvreté, la dépression, la solitude, la vieillesse.

La grandeur Saint-Simon, Jean-Michel Delacomptée (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 05 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, Essais, La Une Livres, Biographie, Gallimard

La Grandeur, Saint-Simon. Gallimard (L’un et l’autre). Novembre 2011. 222 p. 19 € . Ecrivain(s): Jean-Michel Delacomptée Edition: Gallimard

 

C’est un chemin étroit et rare qui est emprunté par ce livre, et de façon plus générale, par cette collection « L’un et l’autre » de Gallimard. Disons d’abord ce que cela n’est pas : ce n’est pas une biographie. Le titre de ce livre particulier aurait pu le laisser entendre. Une biographie de Saint-Simon. Ce n’est pas non plus une œuvre de fiction. Et n’étant ni l’un ni l’autre, on retrouve le nom de la collection : c’est « l’un et l’autre ».

A la fois mises en situation fictionnelles, dialogues fictionnels, événements mineurs fictionnels et pourtant tout ce récit des années « Mémoires » de Saint-Simon s’appuie sur une solide et rigoureuse connaissance biographique de l’homme Saint-Simon et de l’œuvre saint-simonienne.

On y retrouve avec délectation l’observateur génial des mœurs de la cour et des courtisans du temps de Louis XIV et Louis XV. Le moraliste intransigeant et militant qui, à sa manière, dénonce déjà les travers d’une monarchie qu’il voit avec préscience en train de scier la branche sur laquelle elle est assise.

Ce jardin d'encre, Bernard Noël

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Dimanche, 05 Février 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Ce jardin d’encre, poèmes publiés en français et en espagnol (traduction Sara Cohen), photographies de François Rouan (http://francoisrouan.net/), Cadastre8zéro, 2011 . Ecrivain(s): Bernard Noël


« à quoi bon maintenant savoir qu’un trajet n’est pas un sujet

que tout va par sauts par tournants sans qu’il y ait un but pour autant

d’ailleurs c’est toujours un contre but que cherche à promouvoir la langue

comme si elle préférait la bouche actuelle à la suivante

alors que l’espèce est indifférente à qui la perpétue

tant pis il est trop tard pour s’engager ici à mots perdus »


Chaque mot dans ce livre est un mot gagné sur la chute, sur la nuit, pour le tremblement de ce qui éclot lentement.