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Babel nuit, Philippe Garnier

Ecrit par Anne Morin 26.03.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Verticales, Roman

Babel Nuit, 136 pages, 15,90 €, mars 2012

Ecrivain(s): Philippe Garnier Edition: Verticales

Babel nuit, Philippe Garnier

Jeu de mots, jeux de maux, Philippe Garnier s’amuse à nous promener autour d’un rapprochement : Babel qui a donné le mot babil, provenant d’une onomatopée, et par dérivation, le langage d’expression du tout-petit : « tu as perdu ta langue ? »…

Composer, recomposer, partir d’un centre, former un cercle… ne sommes-nous pas tous autant que nous sommes, les habitants de la planète, des électrons libres en interférence, en éternel déplacement ? Tel est le personnage de cette fiction. Les frontières s’ouvrent et les langues retrouvent -recouvrent- la parole, allusion à Babel, cette entreprise, cet impossible élan à mettre ses forces en commun avec celles des autres, prétendre s’élever pour retomber, éclatés, épars, dépareillés.

Nuit du langage, tunnel de la naissance et de la mort dont les allusions fourmillent dans le livre -tuyaux de chantier, long tube du scanner-, et la quête de ce qui a été perdu : le narrateur n’a jamais entendu ses parents : « je n’ai jamais su si mes parents comprenaient ce que j’essayais de leur dire. Je mélangeais des mots appris dans la rue avec des sons éclos spécialement pour eux dans l’appartement, des sons qui changeaient d’un jour à l’autre et que j’ai peu à peu oubliés. Ils devaient en déchiffrer la plus grande part, puisque mes besoins de base étaient couverts » (p.12). Pourtant, la communication se fait entre l’intérieur (le foyer) et l’extérieur (la rue, l’école, les lieux de travail, de communauté).

Nourri de sons, devenu adulte, le narrateur trouve une place de réceptionniste polyglotte dans un grand hôtel. Il s’initie non aux langues étrangères mais à la prononciation de certains sons dans des langues diverses, ne répondant aux clients de l’hôtel que par monosyllabes. Devenu presque muet et renvoyé de l’hôtel, il cherche sans y voir apparemment aucune dérision, un poste d’interprète guide touristique. Longue quête d’une certaine forme d’apprivoisement et d’apprentissage de soi et des autres.

Le jour où sa mère se fait entendre de lui, par quelques paroles aussi brèves que distinctes, il perd tout sens de vie :

« Mon cerveau avait-il subitement changé d’âge ? Comment les deux phrases de ma mère avaient-elles pris sens ? » (p.31).

Déboussolé, ne sachant comment se débarrasser de son histoire encombrante, à la faveur d’un brunch réunissant dans un appartement inconnu, des personnes ne se connaissant comme on pourrait le dire ici à très juste titre, ni d’Eve, ni d’Adam, il renoue avec un amour inconnu dont il n’a gardé aucun souvenir. Les électrons cessent un moment de graviter en tous sens, retrouvant un semblant d’unité, ou plutôt d’agrégation :

« J’enviais les milliards d’êtres humains qui croyaient, à la minute présente, à Melbourne, à Buenos Aires ou au milieu d’une steppe, dans leur trajet ».

Et la vie, pour le narrateur, reprend un cours qu’elle n’a jamais connu : l’étrangeté dans l’unicité, dans la banalisation des choses et dans leur acceptation.

A la fois amusant, profond et virtuose, cet essai sur la communication et la difficulté d’être sur la même longueur d’onde égratigne au passage la communauté du travail :

« J’apprenais des formules par cœur mais elles ne sortaient pas, comme si j’étais resté trop longtemps de l’autre bord, du côté du bruit des voix, pour me remettre du côté des phrases qui filent vers nulle part avec un salaire en fin de mois » (p.54).

Après tout, parler pour ne rien dire n’est pas si insignifiant :

« Je n’ai jamais rien compris à la Bible. Ces prophètes éveilleurs de peuple me sont toujours apparus comme des imposteurs ou des égarés. Babel régnait depuis l’origine du monde. Daniel, Isaïe, Ezéchiel avaient forcément mal compris ce qu’ils avaient entendu. Chaque pas qui les reconduisait vers les hommes obscurcissait les bribes de leur message » (p.82).


Anne Morin


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A propos de l'écrivain

Philippe Garnier

Né en 1964, Philippe Garnier vit à Paris où il exerce le métier d'éditeur. Outre deux essais aux Presses Universitaires de France (La Tiédeur, 2000 ; Une petite cure de flou, 2002) il est l'auteur de deux fictions, Mon père s'est perdu au fond du couloir (Melville/Leo Scheer, 2005) et Roman de plage (Denoël, 2007).

 

 

A propos du rédacteur

Anne Morin

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Rédactrice

genres : Romans, nouvelles, essais

domaines : Littérature d'Europe centrale, Israël, Moyen-Orient, Islande...

maisons d'édition : Gallimard, Actes Sud, Zoe...

 

Anne Morin :

- Maîtrise de Lettres Modernes, DEA de Littérature et Philosophie.

- Participation au colloque international Julien Gracq Angers, 1981.

- Publication de nouvelles dans plusieurs revues (Brèves, Décharge, Codex atlanticus), dans des ouvrages collectifs et de deux récits :

La partition, prix UDL, 2000

Rien, que l’absence et l’attente, tout, éditions R. de Surtis, 2007.