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Le Salon des incurables, Fernando Aramburu

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 07 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Espagne, Nouvelles, Buchet-Chastel

Le Salon des incurables, traduit de l’espagnol par Vincent Ozanam (No ser no duele, 1997), 309 pages, 23 € . Ecrivain(s): Fernando Aramburu Edition: Buchet-Chastel

 

 

Il est difficile d’imaginer quelqu’un de plus rangé, discret jusqu’à l’insignifiance, qu’Avelino Armisén. C’est pourtant ce pharmacien consciencieux qui va tuer sa mère d’une façon bien inattendue. Que cache et que recherche cette élégante enseignante, obsédée par l’odeur de ses mains et jusqu’où Boni ira-t-il puiser son inspiration littéraire dans son désir d’être écrivain ?… Les personnages de Fernando Aramburu semblent bien « incurables » pour ne pas dire irrécupérables ! Ils vivent et survivent pourtant comme ils peuvent, essayant d’échapper à eux-mêmes autant qu’aux autres ou qu’aux événements qui les oppressent ou les enferment de façon incompréhensible. Leurs comportements peuvent paraître absurdes, mais c’est peut-être surtout le monde dans lequel ils vivent qui est absurde, insensé, quand il n’est pas cruel et terrifiant. L’issue n’est jamais où on l’attend, et elle n’ouvre pas forcément sur la solution espérée. Celui qui pense être Silas en fera durement l’expérience face à son incompréhensible hospitalisation.

Marcher, Tomas Espedal

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Mercredi, 06 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, Essais, Pays nordiques, Récits, Actes Sud

. Ecrivain(s): Tomas Espedal Edition: Actes Sud

 

Qu’est-ce qui peut pousser un homme, un écrivain, un poète à décider de tout quitter et à se mettre en route, marcher vers l’inconnu ? Faut-il une raison particulière pour cela ?

Je suis heureux parce que je marche, le ton est donné ! Le premier chapitre s’ouvre sur une révélation, un lâcher-prise plutôt, alors que toute sa vie se délite, le narrateur reprend goût à la vie grâce à la marche. Comme il est bon de s’emplir d’oubli, de se perdre, de sombrer, il s’agit bien d’un abandon de l’ego. Enumérons les joies, boire pour oublier d’abord, ou boire et oublier dans cet ordre et ramper jusqu’à l’oubli. C’est comme un début de dépression, une sorte de mélancolie ou de lassitude de vivre toujours dans les mêmes journées de solitude dans l’écriture, mais le narrateur se reprend vite avec cette prise de conscience qu’il peut faire quelque chose pour sortir non de chez lui mais de lui-même, apprendre à vivre avec soi, car c’est la seule chose dont il ne pourra jamais se séparer, se débarrasser. Ça peut ressembler au début à un manuel de survie ou un guide de développement personnel mais c’est bien au-delà de cela, un manuel de survie poétique.

Ne joue pas fort, joue loin, Aldo Romano

Ecrit par Frédéric Aribit , le Mercredi, 06 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Editions des Equateurs

Ne joue pas fort, joue loin, février 2015, 188 pages, 20 € . Ecrivain(s): Aldo Romano Edition: Editions des Equateurs

 

Don Cherry, Chet Baker, Gato Barbieri, Phil Woods, Bill Evans, Carla Bley, Keith Jarrett, Paolo Fresu, Enrico Rava, Glenn Ferris, Jean-François Jenny-Clark, Didier Lockwood, Michel Portal, Michel Petrucciani, Henri Texier, Claude Nougaro… Il y a des CV qui forcent le respect. Long comme le bras, celui d’Aldo Romano a de quoi faire pâlir n’importe quel musicien. On en connaît qui tueraient pour servir deux trois bières sur scène à l’un de ces noms tirés au hasard. Quant à jouer avec eux…

Vous êtes fils de carreleur italien immigré dans les années 50, votre scolarité trébuche sur la xénophobie ordinaire d’une époque qui vous sert du « sale rital » à longueur de journée, et vous allez faire aussi le carreleur sur les chantiers jusqu’à l’âge de 18 ans : allez tenter une carrière pareille, en parfait autodidacte, sans un minimum de génie et pas mal de volonté. Aldo Romano est cet immense batteur qui a cogné derrière tout ce que la planète jazz compte au tout premier plan, tout en signant, ce n’est pas si fréquent, de nombreux albums composés sur son autre instrument de prédilection, la guitare, albums où, de sideman envié, il fait aussi le chanteur.

Les sept cercles, Une odyssée noire, Sophie Caratini

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mardi, 05 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Thierry Marchaisse

Les sept cercles, Une odyssée noire, janvier 2015, 393 pages, 22 € . Ecrivain(s): Sophie Caratini Edition: Thierry Marchaisse

 

Il est des livres qui valent voyage, et bien davantage ; au cœur du continent-mère, l’Afrique, mais, plus encore, aux racines de l’homme. N’en doutez pas. Celui-ci en est un ! Il est des auteurs, qu’on regrette vraiment de n’avoir pas côtoyés plus tôt ! Celle-là en est une : anthropologue, fine et solide connaisseuse de son Afrique Sahélienne, prêtant son écriture – conteuse, passionnante comme sous l’arbre à palabres – à un homme formidable, Moussa Djibi Wagne (nommé sur le tard Al-Hadji Moussa Djibi Wagne, après qu’il ait fait son pèlerinage à La Mecque). Un homme rare, par sa vie – une épopée antique – sa personnalité, son regard sur lui-même et le reste du monde – entendez l’Afrique de l’Ouest – son humour, sa mélancolie. Un Ulysse, comme le dit le sous-titre du livre. Pas moins.

Ça se lit comme le roman que ce n’est pas, ça sonne comme une saga largement dépassée. Du certifié vrai, mais raconté de telle façon ! Entre les dires foisonnants de Moussa, des siens – somme d’entretiens de belle teneur savante – et le personnage qui dit « je » dans le livre, l’écriture de Sophie Caratini, la magie de son « raconté », fabrique un petit miracle : l’anthropologie littéraire et son immense efficacité.

Quand j’étais vivant, Estelle Nollet

Ecrit par Theo Ananissoh , le Lundi, 04 Mai 2015. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Albin Michel

Quand j’étais vivant, janvier 2015, 273 pages, 19 € . Ecrivain(s): Estelle Nollet Edition: Albin Michel

Estelle Nollet démontre une nouvelle fois dans ce troisième ouvrage un tempérament de romancière aux horizons larges et généreux. Un sujet et quelques personnages ne suffisent pas à la savane africaine qu’elle a ici en vue. Quand j’étais vivant entrecroise donc plusieurs histoires qui sont autant de thèmes saignants. C’est bien ajusté, et le lecteur est touché.

« Population des éléphants en 1900 : 20 millions. Population estimée aujourd’hui : 350.000. Nombre d’éléphants massacrés par an : 35.000. Extinction de l’espèce : déjà prévue… »

Ces chiffres sont donnés en conclusion, hors du récit. Avant cela, le roman, qu’est-il ? Un suspense qui, habilement, ne se pose pas vraiment comme tel. La chronique de la vie dans la réserve importe peut-être plus que le dénouement final – dénouement très pessimiste qui ne conclut pas, bien au contraire. Cette vaste étendue où s’agitent hommes et animaux n’est pas observée d’en haut ou de loin. Le lecteur vit la vie de la savane : le fort qui mange le faible, les aléas climatiques (admirables pages où l’on voit comment souffrent les animaux quand l’eau manque), le léopard qui se coince la patte dans un arbre et en meurt… Estelle Nollet est allée voir sur place, en Afrique australe, et la vérité de ses descriptions – malgré le choix d’une écriture un peu rapide – fait la force de ce roman.