Soleil patient, Gabrielle Althen
Soleil patient, juin 2015, 142 pages, 14 €
Ecrivain(s): Gabrielle Althen Edition: Arfuyen
La quête d’un pays
J’aborde la rédaction de ces lignes avec émotion, car Gabrielle Althen est une proche et je connais ainsi sa sensibilité et sa manière, pour finir, particulière, de vivre en écrivant. C’est d’ailleurs le cœur de ce nouveau livre, vivre en écriture, séjourner dans l’univers en écrivain. Je n’insisterai pas sur les propos de Heidegger analysant la poésie d’Hölderlin, pour ne garder que la réalité de cette locution : « habiter le monde en poète », c’est vivre le monde pour le ramener à la poésie, et inversement, poétiser le monde extérieur par la faculté un peu magique du poème.
La poésie de Gabrielle est une quête. Quête du vide ? Effacement ? Théologie négative ? Telles sont les questions qui m’ont tout de suite saisi à la lecture du premier recueil du livre : Trouver manque. Et même si l’on sait – et surtout le sachant – que cette locution vient de la mère de notre poétesse, l’intrigue demeure, et ce rapprochement entre l’action de trouver, qui est transitive, et celle du manque, entre la possession et l’absence donc si l’on peut résumer hâtivement, interroge sur le monde et sur ce qui l’évide, donc interroge le langage et sa possession, sa maîtrise aléatoire du réel.
Comme l’écrit Tristan Tzara, qui fait d’ailleurs l’exergue du poème Consolation : un mot/sec et mat/emmitouflé dans des plaies d’hiver, le projet du poète est d’abord une question de langue. Et pour reprendre cette fois-ci les mots de Gabrielle Althen, le poète n’est-il pas confiné à de vieux châteaux de craie ? Ce qui veut dire voué lui aussi à la vie éphémère des choses ; et cette craie, ne dit-elle pas la fragilité des phénomènes humains ? Et cette blancheur friable, n’invite-t-elle pas à la même méditation que le Livre de Job ? Il reste que le langage est le sujet d’une captation en même temps qu’une capture de lui-même.
Mais il ne faut pas s’arrêter à la première section du livre mais aller jusqu’à la seconde, recueil qui en compte trois, avec, par exemple : Falloir.
Creux sur le ciel
Ou baiser dans le vent sur du linge
Visage
Absence de visage ?
Entre les deux musiques
Tu ne sais pas ce que tu crois
Le soir n’arrime pas ses pentes
La liberté dort sous la coupole
Les collines brillent dans le convoi
Quelquefois cette terre en oublie ses mouroirs
Et nous nous demandons comment nous allons faire
Puisque la mort n’a pas sa place sur notre image
Et qu’il y manque des mots au four de notre bouche.
Car j’ai oublié de dire que ces poèmes sont sous-tendus par un paysage – sans doute venu du pays de Vaucluse – qui irradie et fait parfois, je le crois, une coalescence avec le travail de bureau à Paris.
Pour entrer dans une autre arcane de l’ouvrage, je cite :
Montre-moi Ta face
Montre-moi la rangée de Tes dents
Montre-moi la maison de Ta bouche
Que Ton silence vole
Entre les ailes de Ta voix
Amulette à mon cœur
Oiseau précis de ma sécurité
Dans le bal admirable du vent
J’ai visité le monde
Mais l’horizon était court
Et le monde était vide
Il y a bal parmi les arbres
Et ni le lieu ni moi ne savons être sûrs
Montre-moi la maison de Ta bouche
Prête-moi de tes mots
Arrime-moi à Toi
Des mots déjà poudroient dans le soleil
Près de la plaine en oraison
Où c’est grand bal parmi les jeunes arbres
Qui est ce « Tu » ? Un interlocuteur ? Soi-même ? Une divinité protectrice ? Je vois pour ma part beaucoup de points d’interrogation et c’est très sain pour le lecteur de s’interroger. Cette poésie de Gabrielle Althen est une quête qui sonde l’âme humaine.
Il faudrait parler aussi de l’influence de la peinture, de celle de Maurice Denis par exemple, qui m’a semblé très évidente – au sujet de son tableau Paysage aux arbres verts –, et qui sait, peut-être encore de Delvaux et ses gares. Il est clair que Soleil patient ne s’épuise pas à la première lecture et qu’il déborde des cadres stricts de la langue pour aller vers le cœur vibrant de la poésie, en tremblant au milieu des hautes lumières plates du Sud.
Didier Ayres
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