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La Une Livres

Textes à conquérir, Max Fullenbaum

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 21 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Textes à conquérir, Les éditions du Littéraire, juin 2018, 136 pages, 13 € . Ecrivain(s): Max Fullenbaum

 

Hiatus pour vies en disparition

On ne se remet jamais de l’histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l’auteur nomme « inflammable ». Pour autant, Fullenbaum n’écrit pas un énième livre sur la Shoah. Et l’auteur octogénaire surprend ici par la jeunesse de son écriture quasi expérimentale. Pour dire le désastre, Fullenbaum au lieu d’étouffer la langue hiatus au nom de celui qu’il trouve jusque dans le mot « jui-if » en une sorte de clin d’œil au second degré à son exergue emprunté à Flaubert : « Hiatus – ne pas tolérer ».

Celui qui dans son enfance a échappé par un quasi-miracle aux rafles et à dévaler son pays en Pétainie mélange ses souvenirs et le réel en fragments ambitieux, angoissants, drôles, terribles. Parfois une seule phrase suffit pour tout comprendre : « Toujours un peu d’argent sur vous pour être prêts à partir ». Car des années 40 à aujourd’hui rien ne change. Même dans le mot « ju-if » l’auteur distingue un hiatus, une coupure mais aussi un lien où le masculin et le féminin se mêlent.

Depuis une fissure, Elisa Biagini

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 21 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Depuis une fissure, Cadastre8zéro, décembre 2017, trad. italien Jean Portante, Roland Ladrière, 208 pages, 13 € . Ecrivain(s): Elisa Biagini

 

Publié en langue originale par Einaudi en 2014, Da una crepa a obtenu en 2015 le Prix Marazza. Il vient d’en recevoir un autre (décerné par la revue Nunc) pour la traduction, remis officiellement lors du Marché de la poésie de Paris, Place Saint-Sulpice, ce printemps 2018.

En édition juxtalinéaire – italien/français – le livre de poèmes d’Elisa Biagini joue des formes économes (on ne va presque jamais au-delà des huit vers), d’une densité qui donne forme aux objets, aux images fortes (j’ai des chaises dans la poitrine), aux lieux faits d’angles, de tables, de chandelles.

La « fissure », l’échancrure (du cœur ? du corps ?) offrent au lecteur passage à des aveux (tu écris aux bords, /pour laisser du souffle/ à tes mots) et à une nouvelle traversée des poèmes-frères/sœurs de Celan et Dickinson.

En peu de mots, dire le peu, le chagrin de vivre ainsi, la réclusion derrière des persiennes closes, écoutant le poisson dans/ l’oreille, l’étrange destin d’être :

L’Île aux troncs, Michel Jullien

Ecrit par Guy Donikian , le Lundi, 20 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, La rentrée littéraire, Verdier

L’Île aux troncs, août 2018, 124 pages, 14 € . Ecrivain(s): Michel Jullien Edition: Verdier

 

A partir des années 1950, les « samovary » qui enlaidissaient les villes soviétiques, furent déportés sur l’île de Valaam, en région de Carélie, aux confins de la Russie, et toute proche de la Finlande. Les samovary sont ces vétérans de la seconde guerre mondiale qui ont été mutilés des jambes et qu’on retrouve à partir de 1945 mendiant dans les centres urbains de l’Union Soviétique. Ce surnom leur est attribué en raison de la ressemblance de ces corps mutilés avec l’ustensile de cuisine. Le pouvoir soviétique décide leur exil sur cette île perdue sur le plus grand lac d’Europe, dans un monastère désaffecté C’est là que Michel Jullien situe son roman.

L’auteur passe tout d’abord en revue les « pensionnaires » des lieux, nous conduisant d’une cellule à l’autre : « …un samovar par cellule, des tronchets, des Dimitri, des Boris, des Vladimir, des morphologies similaires avec le corps terminé en manière de culot, des hommes ampoules ». Plus loin, Michel Jullien qualifie le lieu pour donner aussi le nombre d’exilés qu’abrite le monastère. « Un bon choix, séjour idéal où déverser une petite communauté d’estropiés gâchant le paysage des centres urbains, quelque deux cents mendigots invétérés, à peine ».

Comenius, Philosophie moderne et prophétisme, Marta Fattori

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 20 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Italie, Editions Honoré Champion

Comenius, Philosophie moderne et prophétisme, janvier 2018, trad. italien Tomaso Berni Canani, 238 pages, 45 € . Ecrivain(s): Marta Fattori Edition: Editions Honoré Champion

 

Le patronyme de Comenius ne survit guère, dans ce qu’on appelle la « culture générale » (c’est-à-dire la culture partagée, commune), que grâce au programme européen d’échanges éducatifs qui a reçu son nom. Le personnage lui-même demeure dans l’ombre. Il écrivit en deux langues, l’une minoritaire (le tchèque), l’autre morte et, en France du moins, enterrée (le latin). Bien malgré lui, son existence fut modelée par les convulsions et les horreurs de son siècle, les longues guerres de religion et la Guerre de Trente Ans. Jeté de bonne heure sur les chemins de l’exil, Comenius partagea sa vie entre la Pologne, l’Angleterre, la Suède et, pour finir, les Pays-Bas, ce havre des originaux, des dissidents et des persécutés, où il fut à Amsterdam le voisin de Rembrandt (selon une hypothèse, un des portraits du grand peintre néerlandais représenterait le philosophe tchèque – voir p.78). Grâce à une intelligence rare et à une prodigieuse capacité d’abstraction, Comenius parvint à bâtir une œuvre importante, dans des circonstances qui eussent découragé tout individu moins obstiné et bien que ses manuscrits eussent été égarés ou brûlés au gré des déménagements et des conflits.

Les tulipes du Japon, Isabelle Bielecki

Ecrit par Patrick Devaux , le Mercredi, 15 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Les tulipes du Japon, éditions M.E.O., février 2018, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Isabelle Bielecki

 

Si les clichés ont la vie dure, Isabelle Bielecki casse les codes avec Les tulipes du Japon.

Le livre, presque scindé en deux romans distincts, reprend le thème de l’amour sur les lieux de travail, d’une part, et le combat très hiérarchisé d’une femme déterminée vers un poste non convoité mais bien revendiqué de plein droit avec autant de difficulté que de détermination : « Et moi ? Quels seront mon titre, ma fonction, mon travail ? a-t-elle failli hurler. Mais Elisabeth s’est souvenu des conseils de tous ceux auxquels elle s’était confiée : ne rien demander, laisser venir, qu’ils prennent l’initiative. S’ils veulent te virer ? Qu’ils le disent ! Et cette possibilité-là, que chaque jour une lettre de licenciement allait tomber dans sa boîte aux lettres s’était si bien incrustée au cœur de ses nuits blanches qu’elle n’a rien dit ».

On retrouve le fait accompli, valable pour bon nombre d’entreprises, de placer la performance de l’employée dans une situation limite activant le processus de productivité, la difficulté supplémentaire étant, pour Elisabeth, de se faire à la culture et la langue japonaises sans compter un univers de compétitivité masculine se manifestant d’une façon propre et bien féminine d’une autre : « Liliane avait des comptes à régler. Les autres la regardaient en ricanant. Les hommes étaient moins durs ».