Les jours de silence, Phillip Lewis (par Léon-Marc Levy)
Les jours de silence, août 2018, trad. américain Anne-Laure Tissut, 427 pages, 22 €
Ecrivain(s): Phillip Lewis Edition: Belfond
Un roman passionnant et bancal
Une pluie de références et citations des plus grands écrivains américains, traversée de traits d’esprit et de personnages aussi improbables que drôles et attachants – à commencer par le jeune narrateur –, voilà de quoi faire de cette lecture un vrai moment de plaisir littéraire. Parce que la littérature, et les livres, on y plonge jusqu’au cou dans ce roman tout entier baigné dans l’amour des auteurs et de leurs œuvres.
Tout commence par une citation de Thomas Wolfe, dont le père du narrateur est fou d’admiration. La famille s’installe – les parents et le jeune narrateur – dans une invraisemblable maison nichée dans un coin des Appalaches, en Caroline du Nord. Une maison biscornue, construite quelques décennies plus tôt par des propriétaires originaux. Une bibliothèque immense et bien garnie, en est le centre. Et le reste se distribue dans une architecture improbable, dans le désordre. Un antre menaçant et terrifiant dans lequel vont grandir deux enfants.
La première partie du roman raconte cette enfance – entre joies et drames – dans l’ombre de la figure d’un père des plus étonnants : avocat, « écrivain », passionné de littérature et de musique classique, passant le plus clair de son temps dans son bureau devant sa machine à écrire où il est censé écrire son œuvre. Une enfance plutôt sombre dans ce lieu anxiogène, à laquelle s’ajoute la mort de la petite sœur cadette. Seules lumières : l’autre sœur puinée, compagne de jeux et de ris, les livres et la musique.
Toute cette partie, environ 140 pages, est très belle. L’étrangeté de la figure du père, la malédiction qui semble hanter cette maison, l’atmosphère presque fantastique qui règne sur cette famille, le mystère qui suinte des flancs des montagnes, tout est captivant, mieux, envoûtant, parfois d’une grandeur gothique, comme la maison que découvre ici le père :
« Ce qu’il vit le stupéfia. La demeure, d’une noirceur maléfique, et qui s’élevait bien haute dans l’étendue grise du ciel de cendre, l’emplit de terreur. C’était un monstrueux squelette gothique. Depuis la cour, il distinguait, à l’est, les rares lumières de la ville d’Old Buckram, et, au sud-ouest, la masse bleutée des Blue Ridge Mountains se devinait dans le lointain. Il poussa la porte d’entrée massive et s’aventura, les yeux écarquillés, dans un hall mausolée qui l’accueillit avec des toiles d’araignée et un bataillon de souris en déroute. Lentement, il fut attiré vers la cœur de la demeure où il découvrit, au premier étage, une immense bibliothèque aux panneaux de bois, avec de hautes vitres et des rayonnages d’une longueur démesurée qui s’étageaient jusqu’au plafond voûté. Les murs étaient couverts de livres, des piles de livres occupaient tous les coins de la pièce. Il prit sur-le-champ la décision de faire cette demeure sienne, quel qu’en fût le prix ».
Et puis, un matin, le père n’est plus là. Parti. Le garçon sent que c’est pour toujours. Et là, effondrement de la fragile construction de cette famille, désespoir du jeune fils, de la petite fille, de la femme. Le problème est que le roman s’effondre en même temps.
C’est un fait assez rare pour être souligné. A partir de cette mort, commencent environ 140 pages – soit à peu près le même nombre de pages – qui constituent les 2èmeet 3èmeparties du roman. Des pages d’une mièvrerie, d’une faiblesse invraisemblables. On est en droit de se demander si le roman qu’on est en train de lire n’a pas soudain changé d’auteur : des dialogues insignifiants et filandreux, une écriture d’une plate monotonie, et une histoire ahurissante de banalité et d’ennui. Figurez-vous, que le fils quitte sa famille, c’est-à-dire Maddy, sa mère et Threnody, sa jeune sœur, pour aller à l’université. Et là, on a droit à ses amitiés potaches, ses amourettes de quatre sous, ses états d’âme adolescents, le tout scandé par une psychologie de bastringue à faire pleurer de désolation une troupe de boys scouts boutonneux. 140 pages !…
Et puis vient la 4èmepartie – encore 140 pages (coïncidence assez incroyable) – L’ombre du père revient hanter la mémoire du narrateur, qui est de retour dans la maison d’Old Buckram. La magie opère de nouveau, mais dans l’autre sens. On retrouve une narration dense, étrange, fascinante. On y retrouve aussi la magie de la littérature qui vient habiter le fils comme elle avait habité le père. Le fantôme des grands écrivains, les notes des grands musiciens, tout l’univers paternel reprend le dessus. Et, au-dessus de tous, l’ombre étendue de Thomas Wolfe !
« Dans les jours et les semaines avant mon départ de Chapel Hill, je lus Thomas Wolfe, Look Homeward*, Angel et You can’t go Home Again**, et je ne m’en remis jamais. Outre leur écriture, qui est extraordinaire à plus d’un titre, ces livres instillèrent en moi un malaise profond, viscéral, dont je ne parvenais pas à me débarrasser. J’y entendais quelque chose de trop familier dans la voix, le cadre, la vie et la mort des hommes et des femmes à propos de qui il écrivait. […] Je veux dire que Wolfe, dans ces livres, avec une précision obsédante, enfin, à la perfection, décrit la vie et la mort : la mienne, la vôtre, celle de tout un chacun ».
Et la fin du roman réserve une révélation poignante.
Alors on se demande : pourquoi un livre – passionnant mais bancal – de 427 pages ? Pourquoi pas plutôt un livre de 280 pages qui eût été excellent ? La question m’a obsédé, je la pose donc ici.
Léon-Marc Levy
* Publié en français sous ce titre en 2017 aux éditions Bartillat
** Publié en français en 1985 sous le titre L’Ange banni, aux éditions L’Âge d’homme
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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