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La Une CED

Le chant des marées, Watson Charles (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 29 Octobre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le chant des marées, Watson Charles, éd. Unicité, mai 2018, 90 pages, 13 €

 

 

J’ai pris le petit recueil de Watson Charles (petit en volume) comme une traversée, un voyage au milieu d’un monde animé par des oppositions. Oui, j’ai lu là une certaine poésie double, double par le mouvement vers les choses réelles, vers l’extérieur, vers la ville, vers le monde, vers autrui, et le retour de ces éléments dans l’intériorité poétique de l’ouvrage. D’ailleurs, je ne rechigne pas à préciser que j’observe souvent dans mes lectures de poésie ce qui est de l’ordre de la coupure, de la blessure intérieure et du caractère inaliénable de ce que provoque en soi cette schize. Ainsi, grâce à cette observation, j’ai décelé dans ces poèmes de Watson Charles une sorte d’apologie de la métamorphose, par exemple quand la ville se transforme en île, ou quand le monde se confond en un bateau naufragé, quand le lointain devient proche, quand l’exil devient une richesse. Et cela avec l’étude presque directe de la fonction du poète dans le monde.

Libres sentences, Jacques Brigaud (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Libres sentences, Jacques Brigaud, France-Libris, 2017, 112 pages, 15 €

« Qui prendrait de l’élan pour foncer dans un mur ? C’est pourtant toute l’histoire de nos vies » (p.97)

 

Depuis sa retraite, il y a presque vingt ans (nous étions collègues de Lycée), peu ou pas de nouvelles de l’ami Jacques ; et je n’en souhaitais pas, même si nous ne vivons qu’à quelques kilomètres : ses « brèves de couloirs », du temps de notre lointaine splendeur professionnelle, m’avaient (par leur constant cynisme, leur virtuose vacharderie) suffi. La drolatique vivacité de ce petit bonhomme élégant et tatillon m’avait (pour toujours, pensais-je) lassé : je ne m’imaginais pas du tout lui rouvrir bras et tempes un jour.

Et voici que ce livre (plus qu’inattendu !) dans ma boîte aux lettres change – presque – tout ! L’homme (à près de 80 ans, semble-t-il) écrit et pense donc ! Jacques est visiblement resté misogyne, misologue (un terme bien philosophique pour dire qu’il raillait la philosophie – « j’étudierai monsieur Kant dans ma prochaine vie » disait-il, sarcastique, à nos élèves communs) –, misanthrope, et homophobe. Ma mémoire peut détailler d’abord ces divers hauts-faits :

Peaux d’écriture (4) Robert Walser et le territoire du crayon (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Robert Walser donne l’impression de n’avoir jamais mué, d’avoir gardé à volonté son duvet enfantin, et avec lui sa fragilité. Ses textes nous arrivent turbulents et primesautiers comme des oisillons, donnant le tournis à quiconque voudrait les attraper. C’est particulièrement frappant dans Le Territoire du crayon, dont voici un extrait pris au hasard, p.222-223 (1) :

J’aime lire des poèmes, parce que l’esprit de l’auteur concerné s’y reflète de façon immédiate. Savourer un poème prend si délicieusement peu de temps. Voilà déjà qui a beaucoup de valeur. Mais je voulais parler de couvertures de livres, et là, ce sont les souvenirs les plus agréables qui me reviennent. Des tramways filaient dans les rues. J’avais kidnappé ou, en termes plus mesurés, détourné un enfant d’une des poussettes qui nous entouraient, puis ayant mis en sûreté ce trésor, dans tous les sens du terme, je me rendis dans un club où je réussis à terrasser un géant.

Le Garçon vaudois (Histoire insulaire), par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans La Une CED, Ecriture

 

1. Il s’appelait Martial. Cette saison-là, je passai deux mois dans une île italienne : la nommer n’intéresserait personne. N’y ayant aucun lien, j’augurais que je pourrais y terminer sans entrave le manuscrit qui à Paris me plombait l’existence et que mon éditeur attendait avec une impatience hargneuse. J’aimais à chaque coin de rue les petits sanctuaires devant lesquels les vieilles femmes se signaient sur le chemin de leurs courses, marmottant une prière ou une malédiction ; les églises du quinzième siècle avec leurs cimetières moussus où jouaient les enfants et les niches décolorées de leurs saints ; les appels des mères, au crépuscule, et leur dialecte résumant les invasions successives de l’île. Pour lui, Martial, j’ignore ce qui l’avait conduit ici. De l’italien, il ne mâchonnait que des bouts de phrases. Je tentai de le lui enseigner mais nos efforts n’aboutirent à rien d’utilisable. Il s’en moquait : les clients de l’hôtel où on l’employait au bar (moi, avec une régularité monacale, j’y entrais à cinq heures cinquante ; y buvais un carafon de rosé local en feuilletant les journaux et en grignotant des olives ; quittais les lieux vers sept heures pour retravailler un moment avant le dîner : ce fut d’ailleurs ce rituel qui fournit un prétexte à notre première conversation sérieuse) étaient originaires de toute l’Europe et des trois Amériques, et son culot, sa jolie frimousse, ses clins d’œil malins ou ses mines intelligemment effarouchées dès qu’on le dévisageait avec insistance accéléraient ou simplifiaient les choses – s’il était judicieux qu’elles s’accélérassent ou se simplifiassent.

Le sel ! dit Angot. Tiens voilà, répond Nothomb Ou le dépouillement des sentiments (par Mélanie Talcott)

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 25 Octobre 2018. , dans La Une CED, Les Chroniques

Angot, Nothomb… même combat ! Chacune à fourailler avec le mot juste. Selon elles. L’une affirme qu’elle reste des heures durant en un face à face épuisant avec la solitude d’un seul mot, l’autre que neuf mois de gestation lui sont indispensables pour atteindre la perfection du verbe. La littérature y gagne-t-elle des galons ? Non. A part ceux, peut-être, qui flattent l’ego de ces deux exaltées de la prose.

Un tournant de la vie, dix-huit mois d’écriture, trente-cinq versions. Diantre… Christine Angot a dû en chier des vertes et des pas mûres, des nuits blanches et des doutes pour nous combler, comme à chaque rentrée littéraire, avec l’objet de ses souffrances intimes.

Celles-ci tiennent du vaudeville pathétique. Un trio amoureux, Vincent, chanteur célèbre qui fait mouiller le sexe de la narratrice Je lorsqu’il joue du piano (Vincent est entré en scène. Il portait un costume à épaulettes brodées. Il s’est assis au piano. Mon sexe a mouillé) ; Alex, un Antillais, surnommé par la narratrice Alexinou ou Minou quand il pleurniche à gros bouillons sur lui-même, musicien et ingénieur du son, ami de longue date du premier ; et Je, la narratrice, qui joue à pic-pic et colégram entre son ex et son actuel.