Le chant des marées, Watson Charles (par Didier Ayres)
Le chant des marées, Watson Charles, éd. Unicité, mai 2018, 90 pages, 13 €
J’ai pris le petit recueil de Watson Charles (petit en volume) comme une traversée, un voyage au milieu d’un monde animé par des oppositions. Oui, j’ai lu là une certaine poésie double, double par le mouvement vers les choses réelles, vers l’extérieur, vers la ville, vers le monde, vers autrui, et le retour de ces éléments dans l’intériorité poétique de l’ouvrage. D’ailleurs, je ne rechigne pas à préciser que j’observe souvent dans mes lectures de poésie ce qui est de l’ordre de la coupure, de la blessure intérieure et du caractère inaliénable de ce que provoque en soi cette schize. Ainsi, grâce à cette observation, j’ai décelé dans ces poèmes de Watson Charles une sorte d’apologie de la métamorphose, par exemple quand la ville se transforme en île, ou quand le monde se confond en un bateau naufragé, quand le lointain devient proche, quand l’exil devient une richesse. Et cela avec l’étude presque directe de la fonction du poète dans le monde.
Je cherche
Dans la perplexité du verbe
Le froid de ton corps inachevé
C’est cette approche duelle, celle de la relation physique, du corps poétique comme topographie notamment, de la complexité du rapport à l’autre, à l’Autre, à l’Aimée, au prochain, qui permet de parcourir le livre et son intelligence. Le poème est lien, est côtoiement.
La nuit tombe sur tes bras
Comme de vieilles maisons
Et ton corps me rappelle
Que nous avons traversé l’aube
À grands coups de balai
Et je marche dangereusement
À la cueillette des étoiles
Nous
Qui avons fait la route
Que nous reste-t-il
La nuit marâtre
Nos cœurs blessés
La mer qui rêve d’odeur
Que nous reste-t-il
Nous
Déchus
Le poète est ainsi désirant, en tension, et sans doute la fameuse citation d’Hölderlin qui a tant compté de dissertations, à savoir qu’il faut vivre le monde en poète, s’applique tout à fait au sujet de ce chant des marées.
N’oublie pas que le cœur du poète
Est à la traversée des chemins
Et chaque refrain est un silence
Pour un grand jubilé
Et les sources les plus secrètes
Sont comme des ressacs
Où les nuits passeront comme le vent
Avec leurs écharpes en bandoulières
Il faut encore préciser un dernier point, en mettant en lumière la relation matérielle que le poète ne néglige pas et même encourage, dire combien le feu et l’embrasement des corps physiques sont importants. Et de là, comment le poète est lui-même, dans ce miroir presque narcissique, grandit comme homme, en son vêtement littéraire qui procure au lecteur sa définition et sa raison d’être.
Et nous voici à ta porte, et nous voici avec le chant à nos gorges comme un homme qui a aussi longtemps marché. Alors je partirai laissant derrière moi ce monde comme un bateau qui ruisselle au creux des vallées.
Didier Ayres
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