Des Mondes lettrés aux Lieux de savoir appartient à une catégorie d’ouvrages plus répandue, semble-t-il, dans le monde anglo-saxon qu’en France : le recueil de travaux publié par un savant, coup d’œil rétrospectif jeté à une carrière, dont on peut ainsi (ou non) apprécier la cohérence, les palinodies, les repentirs.
Personne ne trouve extraordinaire de pouvoir lire, dans une savante édition critique du texte original ou dans une simple traduction en livre de poche, les dialogues de Platon, le poème de Lucrèce, les tragédies de Sophocle. Ces œuvres nous enchantent et en ont inspiré bien d’autres. Mais nous oublions que nous n’en disposons que grâce à un improbable concours de circonstances. Derrière chaque page ancienne que nous pouvons lire, il y a le double miracle de sa conservation et de sa transmission. De même que le nombre des êtres humains morts dépasse de loin celui des vivants, la quantité d’œuvres perdues sans retour dépasse celle des œuvres que nous avons conservées. Et même si cela semble difficile à croire, il est tout à fait possible (bien qu’indémontrable) qu’en qualité, ces œuvres disparues aient été supérieures à celles qui nous sont parvenues.