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Mauvais genre (The Lessons), Naomi Alderman (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 24 Avril 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, L'Olivier (Seuil), Recensions, Iles britanniques, Roman

Mauvais genre. Traduit de l’anglais par Hélène Papot. 380 p. 22 € . Ecrivain(s): Naomi Alderman Edition: L'Olivier (Seuil)

 

C’est rare un livre qui commence par la chute. Enfin je veux dire « une » chute mais elle pèse tant tout au long de cette histoire ! James Stieff vient d’être admis à Oxford, rêve qui dort dans le giron de tout jeune anglais issu de la middle class. Il court, dans le plaisir de l’air glacé et d’un corps parfait, élastique, qui le porte comme un ressort. Il court, au devant d’une vie brillante qui l’attend sûrement. Son pied pose sur une plaque de verglas et il tombe. Lourdement. Tendons et ligaments craquent. La douleur s’abat sur lui. Elle ne le lâchera plus. La douleur physique bien sûr, qui reviendra, nauséeuse, tout au long des années Oxford et au-delà, mais, en même temps, s’annoncent toutes les autres douleurs qui vont s’accumuler jusqu’à l’horreur pendant les temps qui s’ouvrent ce jour-là.

Tout dans ce roman semble évoquer la traditionnelle histoire de la jeunesse dorée d’Oxford : la maison de Mark, l’ami immensément riche, dans laquelle toute une bande de garçons et filles va vivre pendant les trois années d’étude. Fêtes, délires, dérives, rêves, cynisme de la jeunesse. On croit un moment que nous sommes devant une histoire classique, très british, presque déjà connue. Mais quelle erreur !

Le Minotaure 504, Kamel Daoud (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 23 Avril 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Maghreb, Sabine Wespieser

Le Minotaure 504. 109 p. 13 € . Ecrivain(s): Kamel Daoud Edition: Sabine Wespieser


D’abord l’énigme du titre. Minotaure OK. Mais 504 ? C’est une Peugeot, une de ces vieilles Peugeot « increvables » qui transportent tout, hommes, objets hétéroclites, bêtes pour des voyages improbables. C’est la nouvelle qui ouvre ce petit recueil. Avec son « taxieur », chauffeur de taxi collectif, enfermé dans le Labyrinthe d’une Algérie illisible :

« (Il souffle. Bruit rauque. Des narines qui s’élargissent.) Un jour elle va me tuer. Cette route va me tuer. Elle m’a transformé en monstre (il ne cessait de répéter cette phrase, et j’étais d’accord avec lui. J’étais fatigué. Les autres passagers se réveillaient. Je regardai le chauffeur et je fus pétrifié : il avait l’air encore plus seul maintenant. Comme coincé dans un règne à part. Plutôt coincé entre deux règnes : moitié homme, moitié… ) Ah, Alger ! »

Villa des hommes, Denis Guedj (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 17 Avril 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Points

Villa des hommes, Ed. Robert Laffont 2007. Réédition Points 2011. 312 p. 7 € . Ecrivain(s): Denis Guedj Edition: Points

 

« - Emmerdez-les le plus possible, Monsieur Matthias. Foutez-leur une belle merde ! Ne laissez pas le monde tourner rond. Quand il tourne rond, on perd la boule. »


C’est Herr Singer qui parle. C’est la fin du livre de Denis GUEDJ « Villa des Hommes ». C’est la fin de l’histoire d’une amitié improbable entre un jeune soldat français blessé dans les combats douteux de la Première Guerre Mondiale et un vieux mathématicien allemand, génial, soigné dans le même hôpital parce qu’il souffre de dépression périodique. Entre eux s’est tissé un lien de plusieurs longs mois, lien fait de silences, de discussions interminables, lien indissoluble tressé dans les mêmes rêves, les mêmes dégoûts. La haine de la guerre, le refus des cécités nationalistes, le rêve partagé d’un monde plus fraternel et plus juste.

Herr Singer c’est, dans une libre inspiration, la figure de Georg CANTOR, mathématicien célèbre, père des « mathématiques modernes », père de la « théorie des ensembles » et des « nombres transfinis ». Monsieur Matthias, c’est un cheminot français qui se retrouve transformé en « chair à canon » dans la "grande boucherie" de 14/18. Rien ne les unit quand le directeur de l’hôpital entre dans la chambre de Herr Singer et lui dit :

Fante. John, Fante (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 03 Avril 2011. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques, Univers d'écrivains, Chroniques Ecritures Dossiers, Roman, USA

Plein de vie !

John Fante. Prononcez « fanté ». Je dois vous dire d'abord bien sûr : c'est qui John Fante ? Un écrivain, américain. Italo-américain plutôt, la précision est d'importance, elle imprègne toute son œuvre. Sa vie couvre à peu près le XXème siècle, de 1909 à 1983. On ne peut pas esquiver sa vie, elle est la matière même de l'œuvre. Tous ses romans égrènent des épisodes autobiographiques, de l'enfance rude du Colorado (sous les grondements incessants d'un père alcoolique et violent) à la réussite professionnelle et mondaine d'Hollywood (où il sera un scénariste très prisé) et enfin jusqu'à la fin douce et glorieuse, malgré la cécité qui le frappe en 1978, aux côtés de Joyce, son épouse.

Je ne sais pourquoi, bien qu'adulé (et même objet d'un véritable culte !) par des cercles de plus en plus nombreux de passionnés de littérature, Fante n'a pas encore atteint en France la notoriété d'un Steinbeck, d'un Hemingway, d'un Faulkner. Son influence littéraire est pourtant d'une large importance : il est le père spirituel de la « Beat génération », de Charles Bukowski, de Truman Capote, de James Ellroy. Son influence est considérable aussi sur Jim Harrison et « l'école du Montana ».

Les madones d'Echo Park (The Madonnas of Echo Park), Brando Skyhorse (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 27 Mars 2011. , dans La Une Livres, Les Livres, L'Olivier (Seuil), Recensions, USA

Les Madones d'Echo Park, roman, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Adèle Carasso, Éditions de l'Olivier, 2011. 297 p. 22€ . Ecrivain(s): Brando Skyhorse Edition: L'Olivier (Seuil)

Vous est-il arrivé, dès les premières lignes d’un livre, d’entendre, au sens physique du terme, une musique obsédante ? Avec Les Madones d’Echo Park, c’est la slide guitar de Ry Cooder qui ne vous quitte pas ! Un lieu revient, dans toutes les voix qui constituent cette œuvre, Chavez Ravine. Un immense quartier chicano de Los Angeles où s’entassaient les laissés pour compte du rêve américain et qui, pour les besoins de la construction d’un grand stade de base-ball (Dodger Stadium), a été rasé en 1960 et les « wetbacks » (dos mouillés parce qu’ils passaient à la nage le Rio Grande !) ont été chassés, éparpillés dans des taudis encore plus ignobles parce que sans âme. Et le grand Ry en a fait un album il y a 4 ou 5 ans : entre blues et texmex.  Il se rappelle : «Je fuguais en bus jusqu'aux barrios, ces bas quartiers basanés et réputés dangereux d'où émanaient de jour comme de nuit des rythmes cuivrés et joyeux, parfois terriblement nostalgiques, mais toujours épicés.» C’est là que se glisse la chanson obsessionnelle de ce récit polyphonique. Presque des nouvelles pour tout lecteur inattentif. En fait un récit unique « slidé » par des doigts, des corps, des âmes, des douleurs différentes. Le chicano brisé, nulle part chez lui, en quête d’une identité chimérique, sans cesse menacé d’être chassé de L.A. à l’autre côté de la frontière mexicaine. C’est-à-dire nulle part. Nulle part chez lui. Ni d’un côté ni de l’autre.