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Articles taggés avec: Fiorentino Marie-Pierre

À Jérôme Ferrari (6) (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 21 Novembre 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques

Nord Sentinelle, Jérome Ferrari, Actes Sud, 144 p. 17,80 €

 

Votre dernier roman cultive un pessimisme réaliste de penseur documenté, parti pris caractéristique de votre œuvre. Vous y passez maître en l’art de le rendre savoureux sans superflu, comme un distillateur extrait l’huile essentielle des fleurs, essence qui, séparée de son eau, donnera naissance à variétés d’effluves.

Retirer, rajouter ou modifier un seul de ses éléments massacrerait votre prose comme s’il s’agissait d’un poème où chaque mot adroitement choisi soutient votre architecture d’images concises et de constats brutaux. D’autres diluent pour faire des pages. Vous, vous concentrez pour que se prolongent longtemps chez le lecteur les impressions les plus variées, les plus contradictoires. Voici mes premières.

Au château d’Argol, Julien Gracq (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mardi, 01 Octobre 2024. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions José Corti

Au château d’Argol, Julien Gracq, Librairie José Corti, 1938, 184 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Julien Gracq Edition: Editions José Corti

 

Albert, Herminien et Heide, les trois seuls personnages de ce roman, n’ont-ils pas d’obligations professionnelles ou familiales, de relations sociales ? Comment rentrent-ils, après d’harassantes heures à cheminer dans la forêt, de plus en plus loin de leur point de départ ? Comment, lorsque l’un est gravement blessé, est-il soigné dans ce château dont le seul domestique visible est toujours aperçu par son propriétaire dormant au détour d’un escalier, sur le rebord d’une terrasse ?

Un lecteur taraudé par ce genre de questions de bon sens risque d’être déconcerté par ce roman. S’en délecteront au contraire ceux sensibles aux envoûtements d’une littérature dont le premier souci n’est pas de plaire mais de créer.

À Jérôme Ferrari (5) (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 10 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Le 21 août sortira votre nouveau roman.

Le précédent, À son image, était paru le 19 août 2020. On ne peut pas dire que vous soyez tel ce tâcheron de la page que Colette croque dans Claudine s’en va, contraint de pondre son volume annuel comme la poule un œuf quotidien.

Alors guetter, d’année en année, votre prochaine publication, c’est comme attendre d’obtenir un rendez-vous avec quelqu’un qui nous plaît : la personne se décidera-t-elle ? quand ? pour quelle histoire ? Dans tous les cas, sa liberté est essentielle au charme de la situation.

Pourtant, malgré mon impatience, je ne lirai pas en ligne les premières pages de ce roman, comme le site de votre éditeur y invite. « Pour appâter le chaland », allais-je écrire sans que le ton soit au reproche car ainsi sont faits les livres, de chair, objets en partie commerciaux, et d’esprit, s’ils sont bons. Votre Nord sentinelle sera pour moi, jusqu’à ce que j’ouvre mon exemplaire en papier, ce paquebot géant qui semble sur le point de s’encastrer dans une ruelle à fleur d’eau égayée par de rares balconnières. Noir et blanc, rouge et bleu, marron.

Brumes, Jésus-La-Caille, Rien qu’une femme, Francis Carco (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 27 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Les « exploits », relatés par la presse à sensation, des marlous et autres pierreuses aux improbables surnoms faisaient rêver la toute jeune Mine imaginée par Colette dans L’Ingénue libertine. Ils ont fait, plus tard, la gloire d’un certain cinéma en noir et blanc. Ils peuplent aussi ces trois romans, publiés entre 1914 et 1935, par Francis Carco.

Les protagonistes ? Des Titine, Lulu-la-Parisienne, le Balafré et autres Fernande, comme dans l’hilarante scène sur la péniche des Tontons flingueurs. Mais ici, point de comédie. Des maquereaux, oui, hermétiques à la pitié et parfois beaux comme Gabin dans Pépé le Moko. Comme dans ce film, d’ailleurs, le drame l’emporte.

En effet, défaillances familiales, alcool, pauvreté, délinquance, prostitution, crime et taule forment un engrenage social broyant aveuglément les plus défavorisés. Les très jeunes protagonistes, aussi usés que leurs aînés suscitent, lorsque leur indigence affective par hasard se dévoile, l’étonnement de ceux qui les fréquentent sans vouloir ou pouvoir les sauver : « Quel être au monde n’a découvert, en cédant à son double, l’ivresse de se mêler à l’univers, de s’y confondre ? » (Brumes). Aucun d’eux, oubliés par la chance.

Chien Brun, Jim Harrison (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 29 Novembre 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Folio (Gallimard), Roman, USA

Chien Brun, Jim Harrison, Folio, octobre 2023, trad. anglais (USA), Brice Matthieussent, 128 pages, 3 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Folio (Gallimard)

 

Chien Brun, la quarantaine déglinguée, est en couple avec Shelley. Cette étudiante prépare un diplôme d’anthropologie tout en se risquant à l’analyse de son compagnon, plus enclin à noyer ses déboires dans de mémorables cuites qu’à s’épancher sur le divan d’un psy. Mais les sentiments de la jeune femme sont-ils sincères ou ne voit-elle dans Chien Brun qu’un descendant des Amérindiens – qu’il n’est, malgré les apparences, pas –, capable de lui indiquer une sépulture rare dont les fouilles la rendraient célèbre dans son milieu ?

« Shelley et moi sommes ensemble depuis environ deux ans, et notre amour se fonde sur une petite entourloupe, sur un mensonge véniel », reconnaît, lucide, Chien Brun dans ce texte où le « je » n’est jamais larmoyant. Car Chien Brun se raconte avec une déconcertante sincérité, probable recette de l’attachement des lecteurs d’Harrison et de la prédilection de celui-ci pour sa créature puisque le personnage reviendra par cinq fois dans l’œuvre du romancier (1).