Les meilleures nouvelles françaises du XXe siècle, anthologie (par Marie-Pierre Fiorentino)
Les meilleures nouvelles françaises du XXe siècle, anthologie, Collectif, Les Éditions Rue Saint Ambroise, 2022, 400 pages, 16,50 €
Mettre en avant, dans notre culture littéraire française qui la réduit à une forme anecdotique et la marginalise, la nouvelle, à travers une anthologie dont le principe rappelle les découpages et assemblages frustrants ou indigestes des manuels scolaires : tel est le double défi que les Éditions de la Rue Saint Ambroise relèvent dans ce volume.
Son préfacier, Gilles Philippe, admet que son titre « pourra faire sourire » ou « pourra agacer ». Il appartiendra en effet à chacun de juger si les vingt-sept nouvelles de ce recueil sont réellement « les meilleures du XXème siècle ». Il est cependant indéniable qu’elles sont très représentatives non seulement du genre mais plus largement des centres d’intérêt et des styles littéraires du siècle passé.
Vingt et un auteurs ont été retenus, Colette en ouverture, Annie Ernaux en clôture entourent Irène Némirovsky. Ces noms et quelques autres soulignent qu’au XXème siècle, publier ses écrits – car les femmes ont toujours écrit dans l’intimité ou l’anonymat – n’est plus le domaine réservé des hommes qu’il était au XIXème siècle.
Aux célébrités qui le sont restées (Aragon, Radiguet, Duras, Yourcenar, Sartre, Beauvoir, Sollers) se mêlent des auteurs un peu oubliés du grand public aujourd’hui. Les personnalités et les prises de position d’Henry de Montherlant, âpre au gain et admirateur de la tauromachie, comme de Paul Morand, que la proximité de Vichy conduisit dix ans durant à un exil Suisse, sont peut-être des pistes pour comprendre les distances que notre époque a prises vis-à-vis d’eux. N’est-il pourtant pas troublant que, dans La Nuit de Babylone, Morand aborde la question contemporaine de la bisexualité ?
Et s’il est vrai que le style de Vialatte ou de Mandiargues a un peu vieilli, la mésaventure d’héritiers autant avides que stupides dans Une Forte tête, du premier, n’a rien perdu de son caractère comique tandis que Le Pont, du second, plonge le lecteur dans une atmosphère entre conte de fée et érotisme très dépaysante.
À côté de ces (re)découvertes, on apprécie les souvenirs ravivés, par exemple Marcel Aymé cultivant un humour absurde et cruel dans Le Temps mort. Quant au Récit 6 de Jean Cayrol, on y entend la même sobriété glaçante, pour évoquer les crimes de guerre, que dans la narration qu’il avait composée pour le film de Resnais, Nuit et Brouillard.
Mais parfois le contraire se produit. Comment ne pas être désorienté par un Apollinaire, poète et prosateur libertin reconnu, en auteur de science-fiction ? C’est cette singularité qui vaut probablement leur place à Chirurgie esthétique, Trains de guerre et Traitement thyroïdien.
Connaître l’auteur dont un ou plusieurs textes ont été retenus permet de mesurer l’habileté de la sélection, ainsi pour les trois nouvelles de Sagan qui balayent les thèmes fondamentaux de l’œuvre de la romancière, d’une profondeur que son vedettariat a empêché de reconnaître. Les femmes, même en apparence les plus soumises à leur époux selon les codes bourgeois du XXème siècle, y sont plus fortes que les hommes et finalement pas moins libres. Car l’homme, objet sensible mais interchangeable dans Le Gigolo (Sagan en développera la figure à travers le personnage d’Andréa dans son roman La Femme fardée), agonisant dans L’Homme étendu, peut aussi être le compagnon que l’on va retrouver, après un moment de crise existentielle vécue en secret, dans L’Etang. Une anthologie est aussi l’occasion de réparer une injustice.
C’est l’un des mérites de cette publication. Un autre réside dans une sélection équilibrée entre curiosités et évidences, auteurs passés de mode et auteurs ayant passé le siècle.
Il faut, enfin, ne pas négliger son caractère pédagogique. La notice qui suit chaque texte – car il aurait été dommage de lui porter ombrage par un appareil critique préalable –, rigoureusement documentée, le situe dans l’œuvre et dans le contexte. On apprend par exemple que Moderato Cantabile de Duras fut une nouvelle avant de devenir un roman et on mesure l’importance de M. Rose de Némirovsky dans l’initiation à la littérature des collégiens.
Bien-sûr, comme toute anthologie, celle-ci laisse des regrets, très subjectifs. Gary y aurait par exemple mérité une place. Mais ce regret même est agréable, suscitant le désir de compléter soi-même ces propositions.
C’est alors l’occasion de se plonger, sans s’y limiter, dans les publications des éditions Rue Saint Ambroise, spécialisées exclusivement dans la nouvelle, qui prolongent cet intéressant travail d’anthologie à travers des recueils consacrés à des auteurs étrangers (Katherine Mansfield, F. Scott Fitzgerald, Anton Tchekhov, Virginia Woolf…) et qui, dans leur dernier opus, célèbrent Colette.
Marie-Pierre Fiorentino
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