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La tristesse durera toujours, Yves Charnet

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Samedi, 30 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Livres décortiqués, Poésie, Récits, La Table Ronde

La tristesse durera toujours, janvier 2013, 176 pages . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: La Table Ronde

 

Yves Charnet nous offre dans son récit, paru en janvier 2013 aux éditions de La Table Ronde, une légende, un chant, un tombeau poétique, un hymne aux femmes qui ont jalonné sa vie et l’ont marqué de façon indélébile avec plus ou moins de bonheur. Il emporte le lecteur, sans barrière de protection, dans ses errements géographiques, psychiques et langagiers. Et nous nous embarquons avec lui dans un étrange et envoûtant voyage.

Dès le titre, il avise ses lecteurs : La tristesse durera toujours. Il emprunte ainsi les dernières paroles prêtées à Van Gogh avant de mourir. Et c’est ce que le récit va déployer en virtuose dans une écriture d’une grande franchise. Il nous prévient à plusieurs reprises de la visée de son projet d’écriture qu’il poursuit depuis le début de son œuvre. C’est d’abord par la voix de Louis René des Forêts qu’il nous avertit : « Dire et redire encore, redire autant de fois que la redite s’impose, tel est notre devoir qui use le meilleur de nos forces et ne prendra fin qu’avec elles ». Et si l’on n’est pas convaincu, il insiste : « Un homme avec la gueule d’un autre. Un écrivain c’est ça. Un type seul en terrasse ». Oui, la solitude est là, ancrée au cœur de son être, malgré tout son entourage. L’auteur a compris depuis longtemps que l’humain se retrouve profondément seul face à la souffrance, face à la mort. Et il ne lui reste que le souvenir dont il tente de laisser trace.

Je vais, je vis, Hubert Lucot

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mardi, 19 Novembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, P.O.L

Je vais, je vis, octobre 2013, 672 pages, 25 € . Ecrivain(s): Hubert Lucot Edition: P.O.L

 

Bien sûr quand on écrit on peut toujours affirmer : « C’est trop tôt, c’est trop tard ». Mais pour le lecteur, il n’est jamais trop tard pour voyager dans les mots de l’autre.

Ceux qui l’aiment monteront dans ce train, un train qui vous emportera, vous lecteurs, dans un long trajet de plus de deux ans et de plus de six cents pages. Vous accepterez de suivre Hubert Lucot dans une pérégrination consignée dans un journal de voyage qu’il a intitulé Je vis, je vais qui est une reprise d’une phrase prononcée par sa femme. En fait, l’auteur fait dans ce volume le récit de la maladie et de la mort de celle-ci qui survient alors qu’elle a soixante-quinze ans et lui soixante-seize. Il l’appelle A.M. (que l’on peut entendre comme « Amour et Mort ») et lui, se nomme H.L. Parfois leurs deux noms sont accolés comme s’ils ne formaient plus qu’un bloc, un « Nous » indissociable qui scande une longue vie d’amour. Parfois, ils se découpleront. Il déroulera cet épisode de son existence comme une pelote, narrée jour après jour ou presque, heure après heure ou presque, dans une écriture qui vous surprendra, qui vous dérangera, qui vous troublera mais qui finira par vous conquérir et vous enthousiasmer.

Avant le passage, François Emmanuel

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 23 Octobre 2013. , dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Roman

Avant le passage, octobre 2013, 96 pages, 12,80 € . Ecrivain(s): François Emmanuel Edition: Actes Sud

 

Le roman, Avant le passage, de François Emmanuel, nous embarque dans une divagation qui nous emporte et nous déporte. Nous quittons les rives tranquilles de la platitude des jours et nous partons pour un voyage à risques. Avec le narrateur, nous sillonnons des eaux agitées. On ne peut s’empêcher d’avoir devant les yeux l’image de la barque d’Arnold Böcklin qui conduit vers l’Île des morts. Le narrateur nous le confirme en affirmant : « je dérive à nouveau sur le radeau lumière ».

Dans un espace coupé du monde, confiné, nous naviguons sans cesse entre deux eaux. Entre le blanc trop blanc des murs d’une chambre d’hôpital et l’obscurité très noire des pensées du narrateur qui erre aux marges du royaume des morts. Entre quelques rayons de soleil des souvenirs de pays lointains, de moments joyeux, émouvants, rappelés, et la nuit de l’adieu à l’aimée brutalement arrachée à la vie dans un bruit assourdissant de ferraille fracassée. Entre le fleuve des enfers de la réalité et la terre silencieuse de paysages coutumiers. Entre la joie d’une main posée sur un front comme une présence maternelle bienveillante qui réchauffe et la tristesse de l’enfermement dans un corps qui ne répond plus. Entre l’oppression vécue dans une rêverie inquiète et la liberté rêvée, dépliée comme un fil que l’on tire. Entre le temps dilaté et menacé de sombrer dans le gouffre ténébreux de l’oubli et le temps resserré, suspendu, qui défile à toute allure.

Puissance de la douceur, Anne Dufourmantelle

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Jeudi, 17 Octobre 2013. , dans La Une Livres, Payot, Les Livres, Critiques, Essais

Puissance de la douceur, Editions Manuels Payot, août 2013, 160 pages, 15 € . Ecrivain(s): Anne Dufourmantelle Edition: Payot

 

En France aujourd’hui, nous ne sommes heureusement pas en période de guerre armée. Mais une guerre sourde est à l’œuvre qui provoque des effets sournois sur les mentalités, sur la population et sur la société toute entière. Nous sommes en butte à une idéologie de la compétition à outrance, à une compétitivité sans fin, à une envie effrénée de possession, à une rentabilité obligée, à un chômage inquiétant, à un écart de plus en plus grand entre les revenus, à un repli sur soi de mauvais aloi, à une technologie dévorante qui délite le lien social, à une communication automatisée où la machine remplace de plus en plus l’échange de paroles, à une manipulation du discours médiatique qui nous oblige à penser en rond avec des mots édulcorés et standardisés.

Dans une époque de violence pulsionnelle où l’argent et la science sont devenus des signifiants maîtres, le livre d’Anne Dufourmantelle qui s’intitule Puissance de la douceur ne peut qu’étonner, nous paraître étrange et même faire scandale pour certains. Aujourd’hui, que peut encore signifier ce mot de « douceur » et comment peut-on lui associer le mot « puissance » ? En effet, l’union de ces deux mots peut apparaître de prime abord comme un oxymore. Tout l’essai va être une démonstration de la pertinence de ce titre.

Vies pøtentielles, Camille de Toledo

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mardi, 17 Septembre 2013. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Seuil

Vies pøtentielles, Editions Seuil, 336 p. 19 € . Ecrivain(s): Camille de Toledo Edition: Seuil

 

Qu’est-ce qui, à la lecture d’un livre, fait mouche à la surface de la psyché ? Qu’est-ce qui nous interroge et nous touche en profondeur sans que nous le réalisions dans l’instant ? Sans la brillante communication de Claude Burgelin, au colloque sur « L’écriture de soi, l’écriture des limites » qui a eu lieu cet été à Cerisy, je n’aurais jamais découvert le roman Vies pøtentielles de Camille de Toledo. Et je n’y serais certainement pas entrée de la même manière. À mon retour, je l’ai lu d’une traite comme on boit un bon vin et en ayant fait abstraction de ce qui en avait été dit. Je l’ai ensuite relu pour analyser les raisons qui ont provoqué en moi un choc.

Dès la première page, Abraham Illitch, qui est à la fois narrateur, exégète et double de l’auteur, nous informe : « Ce livre est composé de trois strates de textes : les histoires, les exégèses, un chant ». L’exergue nous avertit. Camille de Toledo se fait dans ce roman « Collectionneur de gens fêlés pour créer la première galerie de notre orphelinat : une généalogie sans racines, sans lignée ». Ces personnages sont des marginaux aux vies cassées, fracassées, aux désirs effondrés, des « handicapés de la vie qui tentent de survivre ». L’auteur coud autour d’eux une toile qui relie ces destins en morceaux. La quête existentielle de l’auteur tourne autour de plusieurs axes. « Qu’est-ce qu’être père et qu’est-ce qu’être fils ? Que transmet-on de sa lignée ? Que transmet-on de son époque ? »