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Le dernier jour, Jean-Luc Outers

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 12 Juin 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Le dernier jour, mai 2017, Avant-propos de J-M.G. Le Clézio, 152 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Jean-Luc Outers Edition: Gallimard

 

« Aux antipodes, il continuait inlassablement à nous faire part de ses éblouissements et de ses indignations qu’il publiait en forme de missives nous mettant en garde de ne pas nous endormir : la beauté et l’horreur, en effet, deux raisons majeures de rester éveillé. Même s’agissant de beauté, il lui arrivait de s’indigner : “Ce n’est pas que les gens ne remarquent pas la beauté, c’est qu’elle leur est insupportable”. Il n’en aurait jamais fini ni avec le trait de pinceau, ni avec les naufrages, ni avec la tyrannie », L’unique trait de pinceau, sur Simon Leys.

Le dernier jour est un livre hommage, un dernier hommage, un Tombeau, comme le souligne J-M.G. Le Clézio dans son avant-propos, un livre épitaphe, une oraison à la manière de Bossuet, mais aussi un exercice d’admiration complice. Le dernier jour est un roman d’amitiés, réjouissant, lumineux et gracieux. Jean-Luc Outers sait la justesse des mots et de la narration – il s’agit d’un magnifique roman composé dirait Philippe Sollers son éditeur ! – pour ne cesser de faire vivre ces écrivains et cette cinéaste disparus.

Portraits d’insectes, Jean-Henri Fabre

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 29 Mai 2017. , dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Critiques, Arts, Le Castor Astral

Portraits d’insectes, mai 2017, Edition présentée par Philippe Galanopoulos, Dessins de Pierre Zanzucchi, 14 € . Ecrivain(s): Jean-Henri Fabre Edition: Le Castor Astral

 

« Que de fois aux dernières lueurs du soir, ne m’arrive-t-il pas de le rencontrer lorsque, faisant la chasse aux idées, j’erre au hasard dans le jardin ! Quelque chose fuit, roule en culbutes devant mes pas. Est-ce une feuille morte déplacée par le vent ? Non, c’est le mignon Crapaud que je viens de troubler dans son pèlerinage ».

Merveille des merveilles, plaisir absolu de relire ces portraits d’insectes de Jean-Henri Fabre, le poète scientifique, l’entomologiste du roman de la nature, le génie de l’observation, du détail, l’homme qui se penche dans son jardin de l’Harmas à Sérignan-du-Comtat et voit tout, tout un univers en mouvement permanent, comme sa pensée qui virevolte telle une abeille. Dans sa préface éclairante, Philippe Galanopoulos note : « Fabre conserve (au contraire) le plaisir d’écrire et fait du style une marque de distinction. Il ne se soumet pas à l’orthodoxie du siècle : jamais il n’oppose la littérature à la science ». Jean-Henri Fabre a bouleversé la science, l’observation, et son style, sa manière, cette matière vivante, a passionné ses lecteurs depuis leur première édition en 1879, les scientifiques du monde entier, les lettrés et les écrivains – Victor Hugo, Remy de Gourmont, Maurice Maeterlinck, mais aussi André Breton et Roger Caillois sans oublier le subtil Gilles Deleuze, et Edmond Rostand : « Ce grand savant pense en philosophe, voit en artiste, sent et s’exprime en poète ».

Dans son regard aux lèvres rouges, Yves Charnet

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 11 Mai 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Bateau Ivre

Dans son regard aux lèvres rouges, janvier 2017, 264 pages, 19 € . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: Le Bateau Ivre

 

« Vous étiez le nouvel amour. L’espace s’était de nouveau remis à trembler. Une brûlure bleue ; une lumière balbutiée. Il y avait de nouveau quelque chose dans l’air. Quelque chose d’imperceptible. Je vous avais parlé de cet air bleu sur le fond duquel se découpait, aux yeux de Frédéric, toute la personne de Madame Arnoux. Scène de l’apparition dans L’Education Sentimentale ».

Dans son regard aux lèvres rouges est justement un roman de l’apparition, roman vécu, peut-être une autofiction, sûrement une autofriction, le narrateur est l’auteur, et l’acteur de ce qui se joue là sous ses yeux, sur sa peau et donc dans sa main. Dans son regard aux lèvres rouges ne craint rien de la force de la littérature – qu’on la qualifie comme on le souhaite ! il y risque son corps, il y risque sa phrase, et son style dans ce corps à corps avec Romy B. Il dévoile, se dévoile et dévoile son amoureuse, s’avance et avance la jambe, à l’image des toreros qu’il admire – c’est ainsi qu’il se place, avançant la main et guidant la charge de la corne opposée du toro et de Romy. Il se dit, ma vie doit être libre, joyeuse, mystérieuse, évidente comme le sourire radieux de Romy, mais, car il y a un mais permanent dans ce roman, Romy hésite, ne cesse d’hésiter entre son époux et son amant de la péniche, même lorsqu’elle s’offre c’est en hésitant. Cette hésitation est l’une des tensions du roman.

Station terminale, Roland Jaccard

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 26 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Serge Safran éditeur

Station terminale, mars 2017, 160 pages, 15,90 € . Ecrivain(s): Roland Jaccard Edition: Serge Safran éditeur

 

« Fieffé égoïste, je me soucie peu des autres, surtout quand je ressens de leur part une sollicitude excessive. Je revendique ma solitude avec obstination. C’est d’ailleurs la seule rébellion qui vaille ».

« La morgue avec laquelle mon frère revendique son indépendance et justifie sa muflerie m’a toujours laissé pantois. Il se réclamait de Stirner, de Nietzsche et de Cioran. Poussé dans ses derniers retranchements, il s’en tirait avec une pirouette, quand il ne vous jetait pas au visage un aphorisme d’un nihiliste viennois ».

Station terminale est le dernier voyage romanesque, du plus amusant des nihilistes suisses. Roland Jaccard qui a longtemps et avec talent dirigé la collection Perspectives Critiques du PUF, édité Georges Sanders (1) et Rüdiger Safranski (2), fréquenté Emil Cioran, lu Schopenhauer, publié des chroniques dans un quotidien du soir, écrit quelques livres – Les chemins de la désillusion, La tentation nihiliste, Une fille pour l’été – où il dévoile ses passions amoureuses, philosophiques, littéraires et cinématographiques.

Rhapsodie curieuse (diospyros kaki), Alexander Dickow

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 12 Avril 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions Louise Bottu

Rhapsodie curieuse (diospyros kaki), janvier 2017, 64 page, 8 € . Ecrivain(s): Alexander Dickow Edition: Editions Louise Bottu

 

« Vers la fin novembre apparaît sur les étals un genre de tomate d’un orangé irritant et maladif, un orangé aux splendeurs fictives, aux fièvres acides. Le présentoir de ces fruits moulé comme un carton d’œufs empêche que des chairs ne s’entrechoquent ou s’éclatent ».

Rhapsodie curieuse est un livre de chants, de contes d’éclats, d’envolées, et de pirouettes dans et avec la langue. Au tout début était le kaki – un mot grec (diospyros), japonais (kaki), algonquin (piakimina) –, ce fruit rare qui se livre à nos yeux et à nos papilles vers la fin novembre, un fruit qui, comme l’auteur, en sait plus qu’il ne veut bien en montrer, et qui s’épanouit dans cette rhapsodie. Comme le petit livre d’Alexander Dickow, il faut ouvrir un kaki pour le voir, comme pour le croire d’ailleurs. L’écrivain, tel un rhapsode, porte sur la place littéraire ses contes – Vivaient en Chine un père avec un fils, Yang Wu et Yang Mo, apiculteurs l’un et l’autre… Dans un lointain tout au fond d’ici vivait un grand roi nommé Lev, généreux, sensible et tyrannique… – et notations, ses aventures où les phrases et les mots se décousent, se retournent, s’aiguisent, dans un livre singulier, qui comme le fruit dont il porte le nom, aiguise lui aussi l’appétit, avec une vive envie de langue et de langues.