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Articles taggés avec: Chauché Philippe

John Wayne n’est pas mort, Roland Jaccard (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 11 Septembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits

John Wayne n’est pas mort, Pierre-Guillaume de Roux, septembre 2019, 150 pages, 15 € . Ecrivain(s): Roland Jaccard

 

« S’il est vrai que John Wayne a tourné dans quatre-vingt-trois westerns, c’est bien l’homme à abattre. D’autant que, comme l’affirment certains béotiens, quand on en a vu un, on les a tous vus. Face à ce genre d’abrutis, la Winchester 54 peut être du plus grand secours ».

John Wayne n’est pas mort et Roland Jaccard est toujours de ce monde. Plus vivant que jamais, d’une rare agilité, n’ayant peur de rien, n’en déplaise à ceux qui prendraient un rare plaisir à aller cracher sur sa tombe. Roland Jaccard est un cinéphile à l’ancienne, on l’imagine mal lisant chaque mois Les Cahiers du Cinéma, préférant peut-être Positif. L’ami de Cioran, le lecteur d’Amiel, l’oisif, l’exilé intérieur, l’amateur de palaces et de jeunes femmes, s’arme ici d’une plume aiguisée comme une flèche Comanche pour défendre John Wayne. L’acteur et réalisateur de Alamo et des Bérets Verts est accusé de mille maux par mille mots, et Roland Jaccard règle leur compte à quelques fâcheux peu instruits de ce que ce genre a apporté à l’histoire du cinématographe américain. Roland Jaccard n’est pas seul, il avance accompagné, c’est toujours conseillé en territoire hostile : le pétillant cinéaste Luc Moullet (1), le savoureux écrivain Luc Chomarat (2), quelques amies, Clément Rosset, s’échauffant après quelques verres de saké, et Louise Brooks :

Le Général a disparu, Georges-Marc Benamou (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Septembre 2019. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Roman, Grasset

Le Général a disparu, août 2019, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Georges-Marc Benamou Edition: Grasset

 

« Il n’a pas fermé l’œil depuis dix jours ; et cela se lit sur ce masque dont les cernes semblent marquées au burin ; ces yeux rougis, enfoncés, minuscules qui accentuent le caractère éléphantesque de sa physionomie. Depuis les évènements, et son retour de Roumanie, il a passé toutes ses nuits en alerte, dans la pénombre du Salon doré, en robe de chambre où, faute d’un gouvernement capable, il tenait là, en solitaire, ses réunions d’état-major ».

Le Général a disparu est le roman d’un Pays et d’un Vieux militaire. Nous sommes en mai 1968, ce mois qui fait trembler le Général, un mois de barricades et de révoltes, un mois où les pavés dansent, et où le doute se glisse dans les pensées du Président. Il consulte, il écoute. Ils sont tous là, autour du Général : Louis Joxe – allure chic du grand serviteur de l’Etat – Messmer – un légionnaire pour la vie –, Fouchet – cette âme molle dans une enveloppe de rugbyman –, et lui De Gaulle. De plus en plus seul, s’isolant, et cherchant une solution pour sortir de cette crise, de cette révolution, pour en sortir enfin.

Scrabble, Une enfance tchadienne, Michaël Ferrier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 03 Septembre 2019. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Mercure de France, Roman

Scrabble, Une enfance tchadienne, septembre 2019, 200 pages, 21 € . Ecrivain(s): Michaël Ferrier Edition: Mercure de France

 

« J’eus une enfance de sable et de poussière. La vie nous avait posés là, sans crier gare, entre la savane et la steppe ».

« C’est ici que j’ai pris langue avec les bêtes et avec la terre, et ce négoce ne m’a jamais quitté ».

« La guerre s’approchait mais nous le savions pas. Elle chemine toujours ainsi, à petits pas. C’est une louve qui a perdu ses petits et qui est prête à tout pour dévorer ».

Scrabble est un lumineux livre de l’enfance, d’Une enfance tchadienne, tous sens en éveil. Une enfance placée sous le regard des hommes et des bêtes. Une enfance au ras de la terre pour mieux s’en inspirer, l’enfance d’un écrivain, béni des dieux africains. Michaël Ferrier offre ici des Traits et Portraits (1) de cette enfance unique et exceptionnelle entre la savane et la steppe. Ce livre est étourdissant de beauté, il grouille d’images, de sons, d’odeurs, de couleurs, de parfums d’Afrique, de mots et de gestes.

L’éternel printemps, Marc Pautrel (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 30 Août 2019. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

L’éternel printemps, août 2019, 128 pages, 13 € . Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Gallimard

 

« Nous nous décrivons nos royaumes respectifs, et chacun de ces pays est un délice pour l’autre. Nous nous faisons la cour mutuellement. La conversation française est bel et bien une forme de pratique érotique ».

L’éternel printemps est un roman d’amour et de séduction. Un roman parfait, une vie princière, un voyage humain, l’écrivain possède, comme son éditeur, l’art rare de savoir choisir les noms qu’il donne à ses livres. Comme il possède celui de composer ses romans, et c’est bien de cela dont il s’agit, de composition, comme on le dit pour la musique et la peinture. Marc Pautrel possède cet art d’écrire avec la précision d’un artisan joaillier, chaque geste est pesé, chaque phrase millimétrée, chaque mot choyé. L’éternel printemps est un roman qui mise sur l’amour et la littérature, comme l’on mise sur la vie. L’éternel printemps est le portrait à la plume d’une femme aimée, aimée sur l’instant, pour le timbre de sa voix, cette intonation, cette tessiture, pour ses doigts fins comme des crayons-mines, la grande mèche de cheveux qui lui barre le front, avec ce mouvement réflexe adorable dont je ne me lasse pas, mais aussi pour ses pertes d’équilibre – Je guette ses secondes de folie, les éclairs durant lesquels elle quitte la route et s’envole pour quelques minutes –, et sa conversation, cet art de vivre si Français. L’éternel printemps est un roman de la conversation, de la fréquentation.

Ordesa, Manuel Vilas (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 23 Août 2019. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Espagne, Roman

Ordesa, Editions du sous-sol, août 2019, trad. espagnol Isabelle Gugnon, 400 pages, 23 € . Ecrivain(s): Manuel Vilas

 

« Le passé est la vie déjà livrée au saint office de l’obscurité. Le passé ne part jamais, il peut toujours reparaître. Il revient, revient sans cesse. Le passé est porteur de joie. Le passé est un ouragan. Il représente tout dans l’existence des gens. Le passé est aussi porteur d’amour. Vivre obsédé par le passé ne nous permet pas de profiter du présent, et pourtant profiter du présent sans que le poids du passé chargé de désolation fasse irruption dans ce présent n’est pas un plaisir mais une aliénation. Il n’y a pas d’aliénation dans le passé ».

Ordesa est le troublant journal radical d’un espagnol d’aujourd’hui, d’un écrivain qui porte tout le passé de l’Espagne, et offre son présent turbulent. Il ne fait pas de cadeau à son époque, à son pays, à son passé, à ses contemporains et à lui-même, mais avec la manière. Pas un mot plus haut que l’autre, pas une phrase qui ne déroge aux belles règles du style, son humeur vagabonde, mais elle reste classique. Manuel Vilas a la politesse de bien écrire, et de bien rire des situations parfois ridicules où il s’aventure. Ordesa est le roman d’une vie, celui d’un enfant du siècle né durant une dictature, qui a connu la transition démocratique, Juan Carlos et son fils Felipe VI, et qui ne cesse de se souvenir de ses parents et de l’odeur des cigarettes qu’ils fumaient, comme si la crémation n’était pas autre chose qu’une dernière cigarette fumée jusqu’au filtre.