Le Général a disparu, Georges-Marc Benamou (par Philippe Chauché)
Le Général a disparu, août 2019, 240 pages, 19 €
Ecrivain(s): Georges-Marc Benamou Edition: Grasset
« Il n’a pas fermé l’œil depuis dix jours ; et cela se lit sur ce masque dont les cernes semblent marquées au burin ; ces yeux rougis, enfoncés, minuscules qui accentuent le caractère éléphantesque de sa physionomie. Depuis les évènements, et son retour de Roumanie, il a passé toutes ses nuits en alerte, dans la pénombre du Salon doré, en robe de chambre où, faute d’un gouvernement capable, il tenait là, en solitaire, ses réunions d’état-major ».
Le Général a disparu est le roman d’un Pays et d’un Vieux militaire. Nous sommes en mai 1968, ce mois qui fait trembler le Général, un mois de barricades et de révoltes, un mois où les pavés dansent, et où le doute se glisse dans les pensées du Président. Il consulte, il écoute. Ils sont tous là, autour du Général : Louis Joxe – allure chic du grand serviteur de l’Etat – Messmer – un légionnaire pour la vie –, Fouchet – cette âme molle dans une enveloppe de rugbyman –, et lui De Gaulle. De plus en plus seul, s’isolant, et cherchant une solution pour sortir de cette crise, de cette révolution, pour en sortir enfin.
Alors, se dessinent des scénarios, se construisent des romans, et se nouent des intrigues. La France est ainsi faite, elle dit et écrit ce qu’elle vit, ce qui s’annonce – Saint-Simon –, ses affres et ses révoltes, ses colères et ses joies sont ses romans nationaux. Elle se projette, elle imagine. Ce roman politique est fait de cette pierre, de ce tremblement, de ces silences, qu’affectionnent les grands acteurs politiques, les héros, surtout lorsque la fatigue les gagne. De Gaulle va disparaître, se réfugier un temps à Baden-Baden, comme l’on se réfugie auprès de fidèles ou de moines silencieux. Un refuge pour choisir, un refuge auprès d’un vieux para, Massu, l’un des premiers fidèles, un grognard, qui a été de tous les combats.
« Il est avec eux, ce 23 novembre 1944, à 7h15 du matin. Il est avec Leclerc, dont c’est le quarante-deuxième anniversaire ; avec Massu, fourbu, qui arrive tard, et vient seulement de se frayer un chemin dans la ville. Il est avec ces clochards épiques qui ont osé ce serment fou. Il est partout, et même au sommet de la cathédrale ; tout là-haut ; sur un rebord de la pointe, près du paratonnerre, avec le soldat qui plante le drapeau tricolore, bricolé dans l’urgence ».
Le Général a disparu est le roman de toutes les tentations : l’abandon, le renoncement, la fuite, l’exil en Irlande – Pour Balzac, et pour moi aussi, Daniel O’Connell, c’est aussi grand que Napoléon. C’est le libérateur de l’Irlande au XIXe, et plus encore. Un héros de roman ! –, ou alors l’action militaire, une (re)prise du pouvoir. C’est en écrivain que Georges-Marc Benamou s’empare de cette histoire, qui a fait l’Histoire du Général. Cette disparition, ces hésitations, ces doutes, et finalement cette profonde détermination d’être là où il doit être, quoi qu’il arrive. Du Palais à Baden-Baden, ce roman pressé est un combat de boxe, tout va très vite, on retient son souffle, on est admiratif de la prouesse romanesque de la construction, de la composition, par les portraits de ces hommes d’action ou de pouvoir, par le regard aiguisé de l’écrivain, les esquives, les éclats, la vision romanesque d’un homme qui tremble et qui est sur le point de tomber. Ce n’est pas un livre de plus sur le Général de Gaulle, c’est un roman du pouvoir qui chancelle et qui se redresse par la grâce stratégique de Massu, l’homme qui a su parler au Général. Le vieux soldat – l’écrivain en dresse un portrait troublant de vérité et de force, ce qui est d’autant plus admirable qu’il s’agit là du mal aimé, du para honni – qui a convaincu le vieux Général. Ce n’est jamais la question de la vraisemblance historique qui nous occupe, mais celle de la vérité du roman, et son style, musical, léger, gracieux, éblouissant, le swing de l’écrivain, comme il fut celui du boxeur Mohamed Ali.
« Il se dirige vers son bureau, comme le gladiateur va à l’arène. Il se répète, tel un mantra, les paroles de Toto. Il est un para ; il en a vu d’autres ; et cette fois, il ne va pas se faire avoir par le Grand. Il va se faire entendre, se battre, ne rien céder. Ce sera Lui qui sera forcé d’écouter, et Massu va y aller fort sans prendre de gants, sans tortiller. Le dernier combat de sa vie, le plus noble… ».
Georges-Marc Benamou n’ignore rien des enjeux, des complots, des intrigues, des coups, des complots naissants, des rancœurs, des règlements de compte, des rares fidélités, comme il n’ignore rien de l’art du roman, de sa force tellurique, qui comme toujours, éclaire l’Histoire. Le Général a disparu se lit comme il s’entend, comme il se voit, l’art du romancier est littéralement de vous faire voir les situations qu’il imagine, les dialogues qu’il compose, de nous faire entendre les voix, celle du Général, de Massu, de Toto, de Pompidou, de Mendès et les silences qui accompagnent cette disparition. Sur le ring de l’Histoire, Georges-Marc Benamou nous offre un étourdissant combat, celui de l’homme du 18 juin face à ses ombres et ses démons.
Philippe Chauché
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