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Roman

Le garçon qui voulait dormir, Aharon Appelfeld (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 04 Mai 2011. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, L'Olivier (Seuil), Israël, Classiques

Le garçon qui voulait dormir, traduit de l’hébreu par V. Zenatti, Paris, 2011, 297 p., 21€. . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

« (…) ce pays lointain – quel est son nom déjà ? – » (p. 34), et c’est toute l’histoire des « réfugiés », ceux qui reviennent des camps, c’est aussi en grande partie, celle de la vie d’Aharon Appelfeld : revenir puiser dans son passé, pour l’écrire dans une langue qu’il doit forger, celle de sa nouvelle identité, car on a changé aussi son nom au jeune garçon. Non pas « dépouiller le vieil homme », au contraire, lui rendre, au mot près, dans cette musique nouvelle, celle dont Aharon Appelfeld dira qu’elle est celle de sa « langue maternelle adoptive ».

L’image de la mère, dont il fut orphelin très jeune se confond dans la langue qui se perd. Quand le jeune homme aura imité les chapitres de la Bible, qu’il recopie, il pourra ré-endosser tous les êtres qu’il aime. En attendant, le sommeil jette un pont entre deux états, entre deux mondes. Ce livre relate, avant tout, la réappropriation de soi, la reconstruction par la langue. Il est nécessaire au garçon de se reconnaître par les mots. A chaque instant, l’ascèse pour y parvenir : on est saisi, happé avec le jeune Aharon, par l’âpreté de la bataille qui se joue, ne pas, jamais laisser cours au désespoir.

Générosité, Richard Powers (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Samedi, 30 Avril 2011. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, Le Cherche-Midi

Générosité, 480 pages, 22 € . Ecrivain(s): Richard Powers Edition: Le Cherche-Midi

Thassa Amzwar est une jeune femme heureuse. Un peu trop même pour certains. Elle est tout le temps contente. « C’est comme si elle prenait de l’ecstasy en continu ». Rien ne semble pouvoir lui enlever son sourire des lèvres et l’empêcher de voir la vie en rose. « Cette Algérienne possédait quelque chose de contagieux. Impossible de résister à son allégresse : c’était comme avoir 7 ans et se retrouver à dix heures de son huitième anniversaire ».
« Quand le temps se gâte, son ravissement augmente. Elle arrive en classe sous une averse glacée, la tunique et le pantalon trempé, les cheveux chocolat collés en tresse sur les épaules. Elle se plante dans l’encadrement de la porte […] et rit comme si elle revenait de Disneyland. “Quel temps ridicule ! C’est fantastique !” »
Pour son professeur Russel Stone, cet état perpétuel d’optimisme ne va pas de soi. Etre tout le temps heureux ? Irradier de bonheur ? Propager sa félicité à son entourage, comme une véritable contagion ? C’est d’autant plus anormal que Thassa Amzwar ne présente pas le « profil » pour être heureuse. Elle est en effet une « enfant de la mort », une traumatisée. Algérienne, elle s’est réfugiée au Canada après que ses parents aient été tués lors d’émeutes en Kabylie. Ensuite, elle a déménagé à Chicago pour y suivre des études dans l’objectif de devenir réalisatrice.

Mauvais genre (The Lessons), Naomi Alderman (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 24 Avril 2011. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Iles britanniques, L'Olivier (Seuil)

Mauvais genre. Traduit de l’anglais par Hélène Papot. 380 p. 22 € . Ecrivain(s): Naomi Alderman Edition: L'Olivier (Seuil)

 

C’est rare un livre qui commence par la chute. Enfin je veux dire « une » chute mais elle pèse tant tout au long de cette histoire ! James Stieff vient d’être admis à Oxford, rêve qui dort dans le giron de tout jeune anglais issu de la middle class. Il court, dans le plaisir de l’air glacé et d’un corps parfait, élastique, qui le porte comme un ressort. Il court, au devant d’une vie brillante qui l’attend sûrement. Son pied pose sur une plaque de verglas et il tombe. Lourdement. Tendons et ligaments craquent. La douleur s’abat sur lui. Elle ne le lâchera plus. La douleur physique bien sûr, qui reviendra, nauséeuse, tout au long des années Oxford et au-delà, mais, en même temps, s’annoncent toutes les autres douleurs qui vont s’accumuler jusqu’à l’horreur pendant les temps qui s’ouvrent ce jour-là.

Tout dans ce roman semble évoquer la traditionnelle histoire de la jeunesse dorée d’Oxford : la maison de Mark, l’ami immensément riche, dans laquelle toute une bande de garçons et filles va vivre pendant les trois années d’étude. Fêtes, délires, dérives, rêves, cynisme de la jeunesse. On croit un moment que nous sommes devant une histoire classique, très british, presque déjà connue. Mais quelle erreur !

Le musée de l'innocence, Orhan Pamuk (Par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Dimanche, 24 Avril 2011. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Gallimard

Le musée de l’innocence, 674 pages, 25 € . Ecrivain(s): Orhan Pamuk Edition: Gallimard

Qu’est-ce qui fait un grand livre ? Une histoire originale et savamment construite ? Des personnages remarquablement campés auxquels on s’identifie ? Un style qui vous emporte ? Une force qui vous pousse à tourner les pages les unes après les autres, qui ne fait jamais relâcher votre attention, même à une heure avancée de la nuit ? De l’émotion ? Du suspense ? Des interrogations qui poussent le lecteur à remettre en question ses façons d’être et d’agir ? Une fin à la hauteur de tout ce qui précède ?
Tous les ingrédients sont réunis dans le dernier livre d’Orhan Pamuk, Le musée de l’innocence et l’auteur les utilise à merveille. Après Istanbul et D’autres couleurs, il revient (enfin !) au roman avec Le musée de l’innocence, pour la première fois depuis son Prix Nobel de 2006.
Au début du livre, Kemal se souvient du moment le plus heureux de sa vie. C’était quand il embrassait l’épaule de Füsun. Il avait 30 ans, elle en avait 18. Quelques jours plus tard, Kemal devait se fiancer avec Sibel, une femme que tout le monde trouvait parfaite pour lui. Lui aussi était d’accord avec cette idée. Il savait qu’il se sentirait bien aux côtés de Sibel tout sa vie durant.

Villa des hommes, Denis Guedj (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 17 Avril 2011. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Points

Villa des hommes, Ed. Robert Laffont 2007. Réédition Points 2011. 312 p. 7 € . Ecrivain(s): Denis Guedj Edition: Points

 

« - Emmerdez-les le plus possible, Monsieur Matthias. Foutez-leur une belle merde ! Ne laissez pas le monde tourner rond. Quand il tourne rond, on perd la boule. »


C’est Herr Singer qui parle. C’est la fin du livre de Denis GUEDJ « Villa des Hommes ». C’est la fin de l’histoire d’une amitié improbable entre un jeune soldat français blessé dans les combats douteux de la Première Guerre Mondiale et un vieux mathématicien allemand, génial, soigné dans le même hôpital parce qu’il souffre de dépression périodique. Entre eux s’est tissé un lien de plusieurs longs mois, lien fait de silences, de discussions interminables, lien indissoluble tressé dans les mêmes rêves, les mêmes dégoûts. La haine de la guerre, le refus des cécités nationalistes, le rêve partagé d’un monde plus fraternel et plus juste.

Herr Singer c’est, dans une libre inspiration, la figure de Georg CANTOR, mathématicien célèbre, père des « mathématiques modernes », père de la « théorie des ensembles » et des « nombres transfinis ». Monsieur Matthias, c’est un cheminot français qui se retrouve transformé en « chair à canon » dans la "grande boucherie" de 14/18. Rien ne les unit quand le directeur de l’hôpital entre dans la chambre de Herr Singer et lui dit :