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Récits

Journal 2011-2019 (tome V), Richard Millet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 30 Janvier 2025. , dans Récits, Les Livres, La Une Livres, Biographie

Journal 2011-2019 (tome V), Richard Millet, Édition Les Provinciales, août 2024, 602 pages, 32 € . Ecrivain(s): Richard Millet

 

Il ne faut pas sous-estimer la discipline de fer et l’obstination quasi-entomologique requises pour tenir son journal, c’est-à-dire, au sens étymologique, pour noter tous les jours les événements petits ou grands qui se produisent dans une existence, les faits et gestes de la vie quotidienne, les rencontres, les propos échangés, les pensées, etc. Au premier regard, le journal est, avec la correspondance, un genre littéraire à la portée de chacun. Mais on ne doit pas s’y méprendre : il y aura entre le journal tenu par un quidam et celui d’un grand écrivain la même différence qu’entre un film de vacances et une bobine de Kurosawa.

Bien qu’une telle affirmation relève du pari sur l’avenir, Richard Millet est un des grands écrivains de notre temps, par l’ampleur de son œuvre et la diversité des genres littéraires qu’il cultive. Il est également, avec Michel Houellebecq, Boualem Sansal, et quelques autres, un des analystes les plus lucides de l’effondrement en cours, qu’il s’agisse de littérature ou de son vaisseau porteur, la civilisation.

Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 28 Janvier 2025. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet, éditions Les Ateliers Henry Dougier, janvier 2025, 130 pages, 14,90 €

Durée

Oui, la durée est le maître mot de ce livre qui se propose, avec simplicité, de recourir à l’écriture pour en faire une escorte suffisante et le récit d’un tableau : Le Panier de fraises des bois, de Jean Siméon Chardin. Cette entreprise de lecture d’un chef d’œuvre est facile, vivante, argumentée comme en un sens l’est une biographie. Qui essaie de prendre à bras le corps le monde de la vanité du XVIIIème siècle.

Ce livre nous plonge dans un compotier de fraises sauvages afin de comprendre de l’intérieur – si je puis dire – ce qui est passage ou pérennité dans l’activité de toute vie humaine. Cette pyramide de fruits rouges nous permet de comprendre le but de la vie, à l’instar de la leçon que donnent ces fraises peintes, qui vraisemblablement seraient promises à une destruction naturelle, où ici elles se figent et tendent vers l’éternité. C’est en tout cas le flux logique de toute matière, sachant qu’ici c’est la peinture qui fait écran à la mort. Et si je dis la mort, il faut comprendre le temps. C’est à un archi-présent que nous avons à faire, au carrefour du fini et de l’infini, sorte de magie végétale métaphysique.

L’Ascension, Les Trafiquants d’éternité, Amélie de Bourbon Parme (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 17 Janvier 2025. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, Gallimard

L’Ascension, Les Trafiquants d’éternité, Amélie de Bourbon Parme, Gallimard, octobre 2024, 496 pages, 23 € . Ecrivain(s): Amélie de Bourbon Parme Edition: Gallimard

 

« D’un pas tranquille, il longea le Tibre en pensant avec bonheur que la disparition de ceux qui avaient fait sa fortune le laissait désormais tout à fait libre de tracer son chemin vers le sommet de l’Église » (L’Ambition).

« La lumière du jour commence à percer à travers les volets de la chambre. On entend une petite musique venue de la chapelle attenante.

Alors que j’arrive au seuil de mon existence, jamais le passé et le présent ne m’ont semblé si proches, j’ai la sensation physique et morale que tous les moments importants de ma vie s’agrègent comme une nuit se mêlant au jour » (L’Ascension).

L’Ascension est le deuxième volet de la trilogie imaginée avec tant de finesse, de subtilité et de force par Amélie de Bourbon Parme. La trilogie de la vie, de ses revers, ses éclats, ses rencontres, ses paris et stratégies, et de l’amour qui ne cesse d’illuminer Alessandro Farnèse, qui deviendra pape en 1534.

La Passeuse, Michaël Prazan (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 06 Janvier 2025. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Rivages poche

La Passeuse, Michaël Prazan, Rivages Poche, mai 2024, 366 pages, 9,80 € Edition: Rivages poche

Documentariste d’exception (on lui doit des films qui valent largement des ouvrages de vulgarisation dus à des historiens capés), Michaël Prazan, après avoir consacré son existence à décrire la vie des autres, s’est penché dans La Passeuse sur son propre passé ou, plus exactement, sur le passé de son père, qui avait été un « enfant caché » pendant la Seconde Guerre mondiale.

On sait qu’alors que leurs parents partaient pour un voyage sans retour, ce fut le sort de nombreux enfants juifs, envoyés à la campagne (dans une France encore largement rurale) et plus ou moins dissimulés dans des fermes ou présentés comme de vagues neveux. Un exemple parmi d’autres, celui de cette jeune Alsacienne de confession juive, réfugiée dans le Périgord, accueillie chez des paysans et dûment intégrée aux activités de la paroisse locale – sans perspective de conversion : le curé du village, qui savait très bien à quoi s’en tenir, lui avait appris les prières catholiques les plus usuelles, au cas où elle eût été interrogée par une autorité, et la faisait participer aux processions mariales en « enfant de Marie », histoire de parfaire sa « couverture » et d’éteindre d’éventuels soupçons. Ou, plus célèbre, le jeune et futur Serge Gainsbourg.

Échec et mat au paradis, Récit, Sébastien Lapaque (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 13 Décembre 2024. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud

Échec et mat au paradis, Récit, Sébastien Lapaque, Actes Sud, septembre 2024, 336 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Sébastien Lapaque Edition: Actes Sud

 

« Au cours de son adolescence passée à Vienne, c’est dans les cafés qu’il a eu la révélation du jeu d’échecs. Il incarnait pour lui un style de vie, fait plutôt de rêveries que de défis mathématiques. Il aimait ses rites, ses codes, sa dramaturgie ».

« Lors de sa rencontre avec Stefan Zweig, quinze mois plus tard, Georges Bernanos lui a peut-être rappelé la leçon de saint Thomas d’Aquin reçue de la bouche d’un père dominicain ou d’un moine bénédictin du temps de sa jeunesse : l’espoir est une passion tournée vers ce qui est difficile ».

Nous sommes au début de l’année 1942 au Brésil dans la ferme de la Croix-des-Âmes à Barbacena, où Georges Bernanos reçoit Stefan Zweig, une longue rencontre, un dialogue sans fin, dont on ne saura rien, mais que Sébastien Lapaque va imaginer ; ce sera le cœur vibrant d’Échec et mat au paradis. Dans ce dialogue lumineusement inventé, on sent poindre la profonde inquiétude de Stefan Zweig, son désarroi d’avoir perdu sa patrie, sa terre, ses amis, et de sentir l’ombre nazi le frôler, même ici au Brésil.