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Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres 28.01.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Récits

Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet, éditions Les Ateliers Henry Dougier, janvier 2025, 130 pages, 14,90 €

Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet (par Didier Ayres)

Durée

Oui, la durée est le maître mot de ce livre qui se propose, avec simplicité, de recourir à l’écriture pour en faire une escorte suffisante et le récit d’un tableau : Le Panier de fraises des bois, de Jean Siméon Chardin. Cette entreprise de lecture d’un chef d’œuvre est facile, vivante, argumentée comme en un sens l’est une biographie. Qui essaie de prendre à bras le corps le monde de la vanité du XVIIIème siècle.

Ce livre nous plonge dans un compotier de fraises sauvages afin de comprendre de l’intérieur – si je puis dire – ce qui est passage ou pérennité dans l’activité de toute vie humaine. Cette pyramide de fruits rouges nous permet de comprendre le but de la vie, à l’instar de la leçon que donnent ces fraises peintes, qui vraisemblablement seraient promises à une destruction naturelle, où ici elles se figent et tendent vers l’éternité. C’est en tout cas le flux logique de toute matière, sachant qu’ici c’est la peinture qui fait écran à la mort. Et si je dis la mort, il faut comprendre le temps. C’est à un archi-présent que nous avons à faire, au carrefour du fini et de l’infini, sorte de magie végétale métaphysique.

[…] il reconnaissait que ces distractions lui étaient souvent salutaires, parce qu’elles le rendaient à la vie matérielle, aux flux d’énergie dont il avait l’intuition qu’ils étaient nécessaires à la peinture pour parvenir à ce qu’il avait toujours cherché, d’abord assidûment, puis dans une solitude assiégeante qui le laissait sans repos : la vérité des choses.

Ou

Avec une certaine revendication et une certaine fierté, il pouvait affirmer que ses natures mortes ne l’étaient pas, qu’elles lui apparaissaient, au contraire, comme des corps vivants dans le grand mouvement du monde, dans sa grande respiration universelle.

Ces fraises sont vanité. Elles sont immobiles comme sous un soleil où rien ne change. Elles sont surtout une proposition morale. Car le tableau nous montre le très fin équilibre entre ce qui disparaît et ce qui reste. Et c’est surtout parce que Chardin se voulait solitaire, loin de la mignardise ou de la peinture libertine, qu’il fait appel à l’essentiel de la conduite des règles d’une vie humaine qui se ramassent davantage dans un simple verre d’eau que dans la poursuite de la chair débordante de Rubens par exemple. Je rapprocherais cette œuvre de celle de Morandi pour les modernes, ou de Lubin Baugin pour la période précédente. C’est-à-dire promulguant une vie simple et sobre, retenue et pleine, cherchant dans le feu long et non pas dans l’excitation d’un moment ou d’une fièvre. Le Panier de fraises des bois est de cette sorte, sensuel mais avec discrétion, et plein de sagesse venue de l’immobilité et du silence. Il reste que Chardin se trouve essentiellement clivé entre l’atelier, la vie mondaine et les honneurs. Il préfère le silence sans quitter tout à fait le monde et sans exagération d’une espèce de solitude érémitique.

Or Chardin était tout sauf une folle girouette. Bien au contraire, c’est à l’abri des paravents et dans la plénitude de son atelier qu’il composait ses toiles, toujours à la recherche du silence et d’une beauté immobile.

C’est une peinture de l’être, comme le dit justement Alain Vircondelet – dont la tâche semble facile et fluide, décrivant la coupure principale du peintre Jean Siméon Chardin : l’être ou l’avoir, ou sinon, l’être et le non-être (question célèbre d’Hamlet, autant que ce Words Words Words quasi misanthrope que le héros de Shakespeare prononce dans la même pièce). C’est le figement d’un état de l’être, celui qui précède la corruption physique de toute matière vivante. La mort elle-même se trouve repoussée, elle n’existe que comme probabilité et non pas comme action. Elle reste éternellement ante mortem. De là sa valeur spirituelle et peut-être religieuse. Nous sommes dans le sacré en un sens, dans une cantate de Bach, peut-être dans un motet, mais avec sûreté devant les grands dilemmes humains.

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.