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Les Livres

Misericordia, Lídia Jorge (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 30 Novembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Métailié

Misericordia, Lídia Jorge, Métailié, Bibliothèque portugaise, août 2023, trad. portugais, Elisabeth Monteiro Rodrigues, 416 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Lidia Jorge Edition: Métailié

 

« Avant j’avais l’habitude de demander qu’on me lise les informations, mais maintenant je ne veux plus. Dans la vie, naturellement, le bien succède au mal, dans les journaux, au contraire, on ne fait qu’ajouter du mal au mal, j’ai dit. J’ai précisé cependant que j’aimais toujours écouter lire, à présent que je n’arrivais plus par moi-même ».

« Oh ! Joie, conduis-moi à travers la rue tortueuse – la mort dort à la porte. Je la chasse avec ton bâton ».

Elle se nomme Maria Alberta Nunes Amado, et on l’appelle Dona Alberti. Misericordia est son journal, le journal de sa vie en maison de retraite, transformé en roman par sa fille Lídia Jorge. Un journal enregistré entre le 18 avril 2019 et le 19 avril 2020 dans sa chambre de l’Hôtel Paradis devenu maison de retraite. S’y ajoutent des notes manuscrites que l’auteur a glissées en fin de chaque chapitre, qui sont comme des éclats de vie et de joie. Elle s’enregistre car elle a du mal à écrire, à former les lettres. Les mots et les phrases offerts ainsi par la mère deviennent un roman sous la plume de sa fille.

Les 7 vies de Melle Belle Kaplan, Gilles Paris (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 30 Novembre 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Plon

Les 7 vies de Melle Belle Kaplan, Gilles Paris, éd. Plon, septembre 2023, 224 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Plon

 

L’auteur, dont j’ai aimé Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, Le bal des cendres, et Un baiser qui palpite là, comme une petite bête, a souhaité, dans ce dernier roman, très romanesque, brosser le portrait d’une femme, très belle, au passé mouvementé, qui a pris l’habitude de changer de nom et de vie, d’éveiller des mystères, d’échapper aux rumeurs, en dépit d’une célébrité voyante par son statut d’actrice hollywoodienne.

Elle collectionne les vies comme on le fait de rôles.

Orpheline, elle a connu les affres d’un orphelinat, en compagnie de son frère Ben, a connu des placements, a vécu nombre de vies.

Elle collectionne les noms Grace, Paradis, Talia, Belle.

Elle veut à tout prix qu’on ne lui rappelle pas des épisodes moins glorieux de son existence.

Elle construit celle-ci à force de prénoms et de coiffures et d’apparences.

À chacun selon ses besoins, Petit traité d’économie divine, Rémi Brague (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 30 Novembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

À chacun selon ses besoins, Petit traité d’économie divine, Rémi Brague, Flammarion, octobre 2023, 224 pages, 20 €

Réhabiliter en général l’idée de Providence (Dieu organise à l’avance le cours des choses ou l’ordre des événements, il les dispose sagement afin qu’ils jouent bien leur rôle, et visent correctement leurs fins), et celle de Providence chrétienne en particulier, comme le souhaite ici Rémi Brague, semble projet vain et pari perdu d’avance. D’abord parce qu’elle semble relever de la ferveur superstitieuse (André Comte-Sponville, dans son Dictionnaire philosophique, dit très bien de la Providence qu’elle est « le nom religieux du destin », et « l’espérance comme ordre du monde ») ; ensuite parce qu’elle est spontanément obscurantiste (si « les décrets de la providence sont impénétrables », c’est qu’ils doivent rester secrets pour être efficaces, en tout cas discrets pour être tolérables – et « l’asile de l’ignorance » qu’est pour Spinoza la volonté de Dieu n’abrite par principe que des ignares) ; enfin parce qu’elle est pré-moderne (puisqu’elle fait venir le progrès de la réalité non de l’initiative humaine, mais d’une sagesse pré-humaine – puisque créatrice de l’humain – qui saurait mieux, et devrait davantage que l’homme, planifier et délimiter son propre perfectionnement historique).

La Danseuse, Patrick Modiano (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Mercredi, 29 Novembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

La Danseuse, Patrick Modiano, Gallimard, Coll. Blanche, octobre 2023, 112 pages, 16 € . Ecrivain(s): Patrick Modiano Edition: Gallimard

 

Modiano

Le livre d’entre

Si lire Modiano vous éloigne de tout, profitez ! Le dernier Modiano nous éloigne des pesanteurs du temps, des surcharges de l’espace et du zoo des autres.

Lire Modiano propulse en apesanteur !

Paradoxe : Modiano est l’écrivain le plus méticuleux à rendre le temps, l’espace et les autres, les brouillant dans un brouillard qui n’est pas si épais. Plutôt un voile qu’il soulève où chacun, les volontaires seulement, glissent.

Il y a, pour le lecteur, un volontariat à plonger dans l’univers de Modiano, et ce depuis des décennies, La place de l’étoile, via Pedigree, tout ce temps que Modiano nous donne à lire ça : l’épopée sans bruit de chaque mémoire. La ronde sans fin d’une nuit qui ne finit qu’en un jour si court, l’éclaircie.

Chien Brun, Jim Harrison (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 29 Novembre 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Chien Brun, Jim Harrison, Folio, octobre 2023, trad. anglais (USA), Brice Matthieussent, 128 pages, 3 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Folio (Gallimard)

 

Chien Brun, la quarantaine déglinguée, est en couple avec Shelley. Cette étudiante prépare un diplôme d’anthropologie tout en se risquant à l’analyse de son compagnon, plus enclin à noyer ses déboires dans de mémorables cuites qu’à s’épancher sur le divan d’un psy. Mais les sentiments de la jeune femme sont-ils sincères ou ne voit-elle dans Chien Brun qu’un descendant des Amérindiens – qu’il n’est, malgré les apparences, pas –, capable de lui indiquer une sépulture rare dont les fouilles la rendraient célèbre dans son milieu ?

« Shelley et moi sommes ensemble depuis environ deux ans, et notre amour se fonde sur une petite entourloupe, sur un mensonge véniel », reconnaît, lucide, Chien Brun dans ce texte où le « je » n’est jamais larmoyant. Car Chien Brun se raconte avec une déconcertante sincérité, probable recette de l’attachement des lecteurs d’Harrison et de la prédilection de celui-ci pour sa créature puisque le personnage reviendra par cinq fois dans l’œuvre du romancier (1).