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Critiques

Le goût des cochons, Collectif, textes choisis et présentés par Bruno Deniel-Laurent (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 10 Septembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Mercure de France, Anthologie

Le goût des cochons, Collectif, textes choisis et présentés par Bruno Deniel-Laurent, juin 2019, 113 pages, 8,20 € Edition: Mercure de France

 

Publier un recueil de textes en l’honneur du cochon, ou du porc, c’est selon, c’est aujourd’hui aller à contre-courant d’un air du temps qui milite plutôt pour le vegan, pour une absence de plus en plus courante de viande, quelle qu’elle soit, dans nos assiettes. Il y a, certes, des abus intolérables des conditions d’élevage qui font des fermes-usines des endroits de torture plus que d’élevage, conditions qui viennent renforcer la volonté de nos concitoyens de ne plus consommer de viande, à quoi il faut ajouter souvent une sensiblerie exacerbée qui fait de nous des êtres pétris de compassion incapables de soutenir une réalité qui a accompagné l’homme depuis toujours. La civilisation, diront certains, ne pouvait pas ne pas aboutir à la volonté d’éradiquer toute chair dans nos repas, ce qui revient à se passer d’autres traits de civilisation qu’englobe notre art culinaire. Et il s’agit bien de cela, le cochon est ici honoré en tant que trait de civilisation, élaboration du goût, art culinaire donc.

Mohair suivi de mot à mot oratorio, Max Fullenbaum (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 10 Septembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Poésie

Mohair suivi de mot à mot oratorio, Voix Editions, Richard Meier, 2016, 29 € . Ecrivain(s): Max Fullenbaum

 

A la fin, la répétition : Max Fullenbaum et la Shoah

L’ambition d’un livre tient à ce qu’il engage de mots de vie et de mort. Pour autant, « dire » ne suffit pas. Il existe par exemple bien des témoignages sur la Shoah, plus poignants les uns que les autres (de Levi à Anthelme, de Rawicz à Littell aujourd’hui pour le plus récent d’entre eux). Mais qui ne peuvent que tourner autour de l’innommable. Max Fullenbaum, pour tenter d’aller au-delà de cette transmission, a percé une brèche. Car, et comme il l’écrit, « dès 1923 l’année où Marcel Duchamp devint un peintre défroqué, les nazis prirent possession de ces mots à mots déjà là ». Les mots en effet sont toujours prêts à l’emploi pour les bourreaux comme pour leurs victimes. Et c’est pourquoi l’auteur a su inventer un « pas au-delà » (Blanchot). D’où le titre qui par lui-même casse le « ready-made » de ce qu’il semble signifier. Il devient le hors clos du forclos que Duchamp avait ressenti en transformant l’urinoir en fontaine et que Lacan formalisera plus tard en opposant à la langue ce qu’il nomme « lalangue ».

D’Amours, David Léon (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Lundi, 09 Septembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Théâtre, Espaces 34

D’Amours, septembre 2019, 40 pages, 10 € . Ecrivain(s): David Léon Edition: Espaces 34

 

« L’art d’aimer »

Je reprends pour cette chronique le titre en traduction française du célèbre texte d’Ovide, mais en le détournant, parce qu’il me semble que David Léon considère, quant à lui, l’amour dans sa dimension créative entre théâtre et poésie. Le poète latin de son côté proposait à ses lecteurs une manière d’envisager l’amour. David Léon, lui, fait entendre une suite fragmentaire des états amoureux (chaque page correspond avec son titre, à un moment, à un lieu, à un état de l’amour) : son écriture fait art des corps, du désir, des  scènes érotiques et des voix des amants.

Le titre du livre plonge la lectrice, le lecteur, dans les songeries de textes qu’elle a lus. Je me souviens alors des Amours de Ronsard, du stendhalien De l’Amour, et des Fragments d’un discours amoureux de Barthes, que l’auteur lui-même convoque en épigraphe et dont il adopte, en quelque sorte, le principe de saynète comme celle de la rencontre, ou du regard porté sur l’endormi. Une expression populaire remonte aussi à ma mémoire : vivre d’amour et d’eau fraîche, comme si justement l’amour se vivait dans la simplicité régénératrice du monde. Et il y a de cela dans le lyrisme de David Léon.

René Girard, philosophe politique, malgré lui, Une théorie mimétique des sociétés politiques, Jean-Marc Bourdin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 09 Septembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, L'Harmattan

René Girard, philosophe politique, malgré lui, Une théorie mimétique des sociétés politiques, 264 pages, 28 € Edition: L'Harmattan

Aux yeux du monde universitaire et intellectuel (deux réalités qui sont loin de se confondre), René Girard a commis un triple péché. D’abord, il s’est éloigné de sa formation académique de départ – l’École des Chartes (où il soutint une thèse d’archiviste-paléographe sur Avignon à la fin du Moyen Âge) – pour naviguer (ou dériver, diront certains) vers la littérature comparée, puis l’anthropologie, mais sans rompre pour autant avec la littérature (une grande partie de son œuvre consiste en analyses de textes célèbres). Au lieu d’enseigner la littérature comparée dans quelque faculté provinciale, Girard fit toute sa carrière aux États-Unis où sa pensée fut, d’une manière ou d’une autre, reçue (le Gran Torino de Clint Eastwood est un film girardien). Quelques décennies plus tôt, un autre comparatiste de génie, Georges Dumézil, fut invité à faire carrière en Turquie, parce qu’il n’y avait pas de place pour lui en France. Être normalien et agrégé de lettres vous destine à enseigner Racine dans un lycée et non à étudier au fin fond de l’Anatolie des langues caucasiennes imprononçables. Dumézil finit par forcer le destin, mais hors de l’institution universitaire.

Gaeska, Eiríkur Örn Norðdahl (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 05 Septembre 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Métailié, La rentrée littéraire

Gaeska, septembre 2019, trad. de l’Islandais, Éric Boury, 274 pages, 18 € . Ecrivain(s): Eiríkur Örn Norðdahl Edition: Métailié

 

Un livre inattendu, totalement déjanté dans sa forme, son style et son propos. Voilà de quoi animer cette rentrée littéraire. Les femmes tombent des immeubles et se fracassent sur les trottoirs, les députés se réunissent en session sous les cris des manifestants, les volcans d’Islande grondent et les tempêtes de sable s’abattent sur le pays. Il n’y a aucune limite à l’imagination de Eiríkur Örn Norðdahl, aucune limite à son humour, aucune limite à son insolence. Ce livre fait du bien.

A travers le Maelström délirant des phrases de l’auteur, se compose peu à peu un vaste tableau critique, virulent, de notre époque et de nos sociétés occidentales. De la classe politique à ses opposants, des conservateurs aux révolutionnaires, des vieux aux jeunes, des intellectuels aux prolétaires, personne n’échappe à la vindicte de Norddahl. Il épingle avec une égale jouissance le ridicule des acteurs sociaux, soulignant les comportements collectifs et individuels dans leur absurdité.