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Chroniques régulières

Peaux d’écriture (4) Robert Walser et le territoire du crayon (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

Robert Walser donne l’impression de n’avoir jamais mué, d’avoir gardé à volonté son duvet enfantin, et avec lui sa fragilité. Ses textes nous arrivent turbulents et primesautiers comme des oisillons, donnant le tournis à quiconque voudrait les attraper. C’est particulièrement frappant dans Le Territoire du crayon, dont voici un extrait pris au hasard, p.222-223 (1) :

J’aime lire des poèmes, parce que l’esprit de l’auteur concerné s’y reflète de façon immédiate. Savourer un poème prend si délicieusement peu de temps. Voilà déjà qui a beaucoup de valeur. Mais je voulais parler de couvertures de livres, et là, ce sont les souvenirs les plus agréables qui me reviennent. Des tramways filaient dans les rues. J’avais kidnappé ou, en termes plus mesurés, détourné un enfant d’une des poussettes qui nous entouraient, puis ayant mis en sûreté ce trésor, dans tous les sens du terme, je me rendis dans un club où je réussis à terrasser un géant.

La Styx Croisières Cie (7), par Michel Host

Ecrit par Michel Host , le Lundi, 15 Octobre 2018. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

Juillet 2018

 

« Vraiment ! vraiment ! Comme tout est bizarre aujourd’hui ! Alors qu’hier les choses se passaient si normalement. Est-ce que, par hasard, on m’aurait changée au cours de la nuit ! Réfléchissons : étais-je identique à moi-même lorsque je me suis levée ce matin ? Je crois bien m’être rappelée m’être sentie un peu différente de l’Alice d’hier. Mais, si je ne suis pas la même, il faut se demander alors qui je peux bien être ? Ah, c’est le grand problème ! Et elle se mit à penser à toutes les petites filles de son âge qu’elle connaissait, afin de savoir si elle ne serait pas devenue l’une d’elles », Lewis Carroll

Traduction de H. Parisot)

Jules de Montalenvers de Phrysac. Noté dans le Livre de mes Mémoires

 

Lµ1. Alice se pose les questions essentielles, les plus vraies. Qui suis-je ? D’hier à aujourd’hui, suis-je toujours la même ?

Peaux d’écriture (3) Une marqueterie intérieure (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Mercredi, 10 Octobre 2018. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

A propos d’Eclat du fragment de Bai Chuan (L’Amourier, 2002, 13 €)

Quelle peau d’écriture se fabrique un écorché ? Comment une effraction physique s’inscrit-elle dans la chair des mots ? Quel contenant donner à des lambeaux ? Des écrivains aussi divers qu’Antonin Artaud, Primo Levi, Paul Celan, et plus récemment Philippe Lançon apportent chacun à ces questions leur réponse particulière. L’originalité d’Eclat du fragment tient à ce que son auteur, Bai Chuan, s’efforce d’enduire soigneusement son texte d’une laque qu’il s’emploie simultanément à faire sauter.

Victime dans son adolescence d’un viol, Bai Chuan ne nous l’apprend que dans le dernier quart de ce livre qui, disons-le tout de suite, n’appartient en rien à la littérature de témoignage. Bai Chuan est le pseudonyme dont s’enveloppe un auteur qui écrit en français, vit à Taiwan, et tient à donner à ce petit livre de 72 pages un contenant solide en l’inscrivant dans un genre littéraire chinois, le « sanwen », ensemble de proses brèves d’une composition très libre et à la croisée des genres : essais « à sauts et gambades », souvenirs de famille, portraits, impressions, récits de voyages. L’éclat du fragment, c’est donc d’abord la mise en valeur de la beauté rayonnante des formes brèves chinoises.

Peaux d’écriture (2), par Nathalie de Courson

Ecrit par Nathalie de Courson , le Vendredi, 05 Octobre 2018. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

À propos de L’Interlocutrice de Geneviève Peigné

 

Une des plus singulières peaux de lecture-écriture que j’aie été amenée à toucher ces dernières années est celle de L’Interlocutrice de Geneviève Peigné, récit poétique et autobiographique publié aux éditions du Nouvel Attila en 2015.

Voici, à quelques mots près, la présentation de l’œuvre donnée en quatrième de couverture :

Quelques mois après la mort de sa mère Odette, l’écrivain Geneviève Peigné découvre, dans la bibliothèque de la maison qu’elle vide, une collection de romans policiers « Le Masque », dans les marges desquels la défunte, atteinte d’Alzheimer, a tenu le journal de sa maladie. À mesure que son mal progresse, Odette en vient à s’immiscer dans les dialogues des romans, et à répondre aux répliques des personnages comme si elle recherchait un interlocuteur, et comme si la fiction était plus à même d’apporter des réponses à la solitude et à la détresse. En lisant ces confessions souvent très prosaïques sur la douleur, Geneviève Peigné entame un dialogue posthume mère-fille autour du livre, de l’écriture et de la lecture.

Variantes oisives sur le mythe de Sisyphe, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 04 Octobre 2018. , dans Chroniques régulières, Les Chroniques, La Une CED

 

 

Parce qu’il trompa les instincts profonds, les lois de la nature ou les dieux grecs (leur anciens synonymes), un homme qui s’appelle Sisyphe a été condamné à pousser vers le haut d’une colline un énorme rocher qui irait rouler vers le bas dès que le but est atteint et ainsi de suite. Sans fin. Pas même la mort, car le châtiment a lieu après la mort justement.

Albert Camus en fit un mythe encore plus moderne et l’illustration de la condition humaine absurde, sauf avec la dignité de l’effort. L’homme était l’homme, et le rocher son univers : condamné à faire n’importe quoi, le plus longtemps possible dans un monde qui n’a pas de sens. Fascinante illustration qui laisse deviner un abîme de variantes.