Un cheval entre dans un bar, David Grossman (2ème critique)
Ecrit par Sylvie Ferrando 08.09.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Bassin méditerranéen, Moyen Orient, Roman, Points
Un cheval entre dans un bar, août 2015, trad. hébreu Nicolas Weill, 176 pages, 19 €
Ecrivain(s): David Grossman Edition: Points
Le dernier roman de David Grossman est un livre grinçant à souhait, qui cultive l’auto-dérison à la puissance dix, jusqu’à l’auto-mutilation mentale, et qui peut se lire à un double niveau.
A un premier niveau, narratif, l’humoriste Dovalé, âgé de 57 ans, se livre à un « stand up », un one-man-show, sorte de comédie où l’acteur est debout devant son public, l’apostrophe, s’oppose à lui. Il a pris soin d’inviter à sa performance un ancien camarade de classe devenu juge, Avishaï Lazar, à présent retraité, et peut-être d’autres connaissances antérieures. L’humoriste énonce de mauvaises blagues, utilisant tous les registres du comique, des blagues qui non seulement ne font pas toujours rire mais qui semblent receler de la malveillance. « Qui sait quelle partie d’échecs complexe il joue avec nous ce soir ? »
Ce soir-là, le spectacle dérape, l’humoriste va trop loin et se livre à une alternance d’humiliations publiques et de séances d’auto-flagellation. Tout participe au malaise de la soirée, non seulement la succession des scènes de comédie plus ou moins réussies, mais aussi le voyeurisme du public, confronté à « la tentation de lorgner l’enfer d’autrui », et l’incompréhension méprisante du copain d’enfance vis-à-vis du métier d’amuseur de foule :
« Pour vous, me suis-je énervé, tout n’est que matière à railleries, chose ou homme, tout est bon. Pourquoi pas, après tout, il suffit d’un peu de talent d’improvisation et d’un sens de la réplique du tac au tac, et l’on peut rire de tout, tout parodier, tout caricaturer – depuis les maladies et la mort jusqu’aux guerres, chaque chose devient un sujet de moquerie ».
Seule une spectatrice, sorte de naine grotesque et moquée dès les premières pages par Dovalé, prend sa défense, contre lui-même et contre les autres : « Qu’est-ce que tu es devenu ? Tu étais un gentil garçon dans ton enfance ! » Pourquoi en effet tant de haine de soi, débouchant sur la haine de l’autre ? Le mystère se lève à partir du milieu du roman, avec le récit d’un malheureux séjour qui a réuni pendant leur adolescence le narrateur Avishaï Lazar, et Dovalé l’humoriste qui par sa logorrhée verbale usurpe le statut de narrateur et le talent d’expressivité du pronom je.
Pour autant, un second niveau d’interprétation se dessine. Le nom de la petite ville côtière où l’humoriste Dovalé fait son show, Natanya, offre une si évidente parenté avec le nom de Natanyahou, premier ministre de l’Etat d’Israël depuis le 31 mars 2009 et membre du Likoud, parti sioniste de tendance nationaliste, que tout naturellement le parallèle se fait entre deux situations d’énonciation et que le roman verse dans le pamphlet politique. Au fond, à qui s’adresse Dovalé ? Quelle est la finalité de son discours ? Faire rire son public, raconter une émouvante histoire d’enfance ou dénoncer la barbarie militaire ? En tant qu’auteur engagé, Grossman n’a aucune complaisance pour ses personnages, ni pour le juge, méprisant et étriqué, ni pour le public qui, « satisfait, braille son approbation », ni pour l’humoriste, dont le discours est aussi incongru qu’« un cheval [qui] entre dans un bar », et qui est porteur de catastrophe, peut mener à la catastrophe.
C’est ainsi que tout au long du roman la mort est présente, la mort rôde, et les responsabilités, regrets ou culpabilités qui lui sont attachés surgissent et se mêlent subrepticement.
« Applaudissez la mort ! » crie Dovalé dans cette comédie détournée, et cette expression choquante pourrait bien être le mot d’ordre, le paradoxal leitmotiv du roman.
Sylvie Ferrando
Lire l’article de Anne Morin :
http://www.lacauselitteraire.fr/un-cheval-entre-dans-un-bar-david-grossman
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A propos de l'écrivain
David Grossman
David Grossman (en hébreu : דויד גרוסמן ), né le 25 janvier 1954 à Jérusalem, est un écrivain israélien, auteur de romans, d'essais et de livres pour la jeunesse. C'est l'une des figures de la littérature israélienne.
A propos du rédacteur
Sylvie Ferrando
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Rédactrice
Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère
Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais
Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil
Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.
Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.
Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.
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