Sucre noir, Miguel Bonnefoy (par Philippe Leuckx)
Sucre noir, avril 2019, 192 pages, 7,50 €
Ecrivain(s): Miguel Bonnefoy Edition: Rivages poche
Mâtiné d’exotisme, d’âpreté et de plongée sociale, le roman du très jeune romancier français, aujourd’hui en résidence d’écriture à la Villa Médicis sur le Pincio romain, éblouit par son sens de la narration, son écriture très soignée et des personnages hauts en couleurs qui donnent chair à l’histoire.
En pays caribéen, la quête d’un trésor, perdu trois siècles plus tôt, celui abandonné par Henry Morgan, anime soudain la vie de Severo Bracamonte et de ses proches.
Dans un village, où étonnamment une vieille dame vient faire office chaque année en poussant une porte qu’elle ouvre et ferme seule, Severo, Serena Otero, sa femme, leur « fille » Eva Fuego fouillent les alentours pour découvrir ce « trésor » tant vanté.
La plantation des Bracamonte fournit le meilleur rhum de la région et elle s’épanouit au fil des années.
Comme dans toute quête, l’acharnement à découvrir est peut-être le terreau le plus sûr, le moteur le plus animé, et même si on ne trouve rien, les démarches imposent un climat de mystère et l’univers de Stevenson et de tant d’autres écrivains de la quête (in)fructueuse (Verne…) n’est pas bien éloigné.
On sent Miguel Bonnefoy attaché à une écriture pulpeuse (au vrai sens du mot), qui enrubanne la vie de ses personnages. À ce propos, les femmes surtout ont cette touche de vraie densité, d’énergie et de lutte. Quels beaux portraits, tissés de beauté ou de nature insolite sinon sauvage !
Jouant de la trame dramatique (toute aventure est forcément cette sève parfois malheureuse), Bonnefoy enchante par la grâce narrative, l’inventive histoire familiale, avec ses hauts, ses démesures, ses bas, sa faillite.
Un air de fête et le gong du sort tombe.
Il faut beaucoup de prouesse verbale (et toujours légère, somptueux lacis de belles phrases) pour mener à bien un récit qui comportait tant de fils (aisément mélodramatiques) : l’art est ici d’éviter mélo et pathos. La destinée est chagrine, et certains périples virent au noir.
Ce troisième livre d’un auteur qu’on suivra bien volontiers (il est né en 1986) pour son hymne au vrai voyage qu’est la lecture enchante et, là, il a déjà marqué de bien beaux points en matière de suggestion et d’évocation romanesques, avec un toucher léger, léger.
Philippe Leuckx
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