Sucre noir, Miguel Bonnefoy (par Léon-Marc Levy)
Sucre noir, août 2017, 207 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Miguel Bonnefoy
Ce roman est une intense célébration des sens. Et du sens olfactif en particulier. Les parfums s’y organisent en réseaux serrés, en échos déferlants, en une valse obsédante, enivrante.
L’histoire commence dans un arbre. C’est un vaisseau qui est posé dans un arbre ! Ce qui nous vaut un incipit inoubliable :
« Le jour se leva sur un navire naufragé, planté sur la cime des arbres, au milieu d’une forêt. C’était un trois-mâts de dix-huit canons, à voiles carrées, dont la poupe s’était enfoncée dans un manguier à plusieurs mètres de hauteur. A tribord, des fruits pendaient entre les cordages. A bâbord, d’épaisses broussailles recouvraient la coque ».
Ainsi commence la légende du capitaine Henry Morgan dans les Caraïbes, légende qui s’accompagne – comment en pourrait-il être autrement ? – d’un trésor mirifique enterré quelque part.
« Trois siècles plus tard, un village s’installa là où le bateau avait disparu ». Parmi les paysans qui peuplent la bourgade, une famille plus raffinée, plus riche, les Otero. Et en particulier la fille, Serena, étonnant personnage dans un cadre si fruste et si loin de toute civilisation.
« Haute, légère, elle ne respectait pas la raideur paysanne. Elle avait des cheveux plus clairs, une bouche sensuelle, sa silhouette était si déliée que même les natures les plus rebelles finissaient par s’émouvoir. Toute une cour de jeunes admirateurs s’empressait autour d’elle, mais les galanteries l’ennuyaient, et Serena Otero, jusqu’au jour de sa mort, rêva à d’autres horizons ».
Et la saga des Otero se déploie, somptueuse et baroque, dans le flamboiement des personnages, le déferlement des couleurs, la folie des fragrances. Miguel Bonnefoy est un peintre inspiré, un coloriste né, un formidable chroniqueur des sens. Le geste amoureux rejoint la geste sensuelle :
« Son baiser prit une couleur d’or et de miel. A son parfum, il reconnut les notes vanillées de l’ananas, ses lèvres exhalant des fraîcheurs herbacées et des saveurs d’agave, comme une longue traînée de braise, et la chaleur de celles qui ont une flamme à la place du cœur ».
C’est le rhum qui fera la fortune de Severo Bracamonte, l’homme qui épousa Serena. Il développe une propriété gigantesque à la prospérité insolente. Les rhums Bracamonte vont faire le tour du monde. Mais l’obsession de Severo – même enfouie – restera toujours la découverte du trésor du capitaine Morgan.
Miguel Bonnefoy érige ce trésor en métaphore existentielle. Il est plus qu’un trésor, la matérialisation possible de ce qu’est le désir des hommes : juste ce que l’on n’a pas, ce que probablement l’on n’aura jamais. Quête folle et mystique, traversée de mystères comme cette vieille femme, ancienne propriétaire de la maison Otero/Bracamonte, qui vient chaque année le 1er novembre, pour aller péleriner dans une chambre au fond de la demeure dans laquelle personne n’entre jamais sauf elle. En mémoire de son mari … dit-elle.
Le dénouement est incroyable. Ce livre l’est tout autant, magnifique ode baroque à la beauté sauvage, aux parfums des îles, au tourbillon des sens, à la folie et la grandeur des hommes.
Léon-Marc Levy
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