Quand vient le temps d’aimer, William Nicholson
Quand vient le temps d’aimer (All the Hopeful Lovers). Traduit de l'anglais par Anne Hervouët février 2015. 332 p. 22 €
Ecrivain(s): William Nicholson Edition: Editions de Fallois
William Nicholson retisse sa toile – après nous y avoir pris dans « L’intensité de la vie quotidienne »*. Et c’est avec délice que nous nous y retrouvons captivés, captifs. Nicholson possède un art exceptionnel de faire du moindre sentiment humain, du moindre acte, de la moindre douleur, un événement notable, voire majeur, et d’en extraire ainsi le matériau d’une véritable « aventure ». Aventure ici est à prendre dans sa polysémie en langue française : procès incertain et qui engage et aventure sentimentale bien sûr, comme annoncé par le titre.
Belinda, Chloe, Meg, Jack, Alice, comme les billes d’un jeu de flipper, vont ainsi tracer des trajectoires erratiques, phalènes hallucinées par le feu, par le jeu de l’amour. Et, comme il se doit aux jeux de l’amour, ils vont s’y brûler les ailes. Passions, mensonges, oublis, trahisons, William Nicholson est un maître pour associer les ingrédients du tourbillon amoureux. Il est cinéaste et scénariste d’abord (il s’agit réellement de ses métiers premiers) et son écriture – à la fois linéaire et palpitante – en est évidemment le produit. Il possède l’art consommé du scénariste pour passionner avec peu de chose, pour faire une histoire avec des bribes – brûlantes certes – de la vie amoureuse.
« Fragments d’un discours amoureux » aurait dit Roland Barthes. Toutes les situations dans ce roman, les faits et gestes, semblent enfermés dans ce que Barthes appelle « l’holophrase », c’est-à-dire l’énoncé-type qui – à force d’être énoncé – finit par être dit, fait ou subi sans même y penser, comme mécaniquement. Les personnages de Nicholson semblent des insectes en société, comme des termites dans une termitière : ils avancent comme mus par le mécanisme – nécessaire et absurde – de la vie, dans une trajectoire déterminée mais on ne sait trop par quoi.
« Ne me demande pas de prendre une décision. Je ne me contrôle plus. C’est pour cela que je suis venue. Comme si je ne le savais pas, dès l’instant où nous avons quitté Alice et où il m’a demandé : « Viens-tu à Londres parfois ? »
Il a réglé la note et le serveur est parti chercher son manteau.
Je n’ai rien à faire. Pas le moindre truc, putain ! »
L’adultère – Ô comme ce mot a vieilli ! – redevient dans ce roman un moteur d’histoire(s). Qui couche avec qui, peu importe au fond, c’est ce que nous dit l’auteur dans cette cataracte d’amours et de tromperies ! Ce qui importe, c’est le théâtre humain, théâtre d’ombres dérisoires, mensonges aux autres et mensonges à soi. Le talent de Nicholson étincelle dans la description de l’affect intime. Son écriture – si cela a un sens – est féminine tant elle évoque Jane Austen par moments. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien de notre monde, celui d’aujourd’hui, qu’il s’agit, avec sa vanité, ses égos démesurés, son non sens.
La famille en prend pour son grade, couples délités, adolescents pervers et perdus, parents égoïstes et inaptes, amants prédateurs. Le mythe familial vole en éclats sous les coups de pinceau de Nicholson et ces bribes de tableau font peu à peu, une sorte de chœur moderne – un anti « Gloria » adressé au vide d’une époque.
William Nicholson continue son exploration des humains. Presque à la manière d’un anthropologue, plume à la main, regard aigu. Son écriture – remarquablement restituée par la traduction d’Anne Hervouët – agit sur le lecteur comme un produit addictif : on ne peut lâcher ce livre avant le dernier mot.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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